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 d’ADHEOS

Le calvaire des homosexuels palestiniens cachés en Israël.

D’abord, Rita Petrenko a cru qu’il s’agissait d’une fake news comme « il y en a tant sur les réseaux sociaux ». Puis, elle s’est rendue à l’évidence. Le corps d’Ahmed Abou Murkhiyeh, un jeune homosexuel palestinien réfugié en Israël, avait bien été retrouvé en Cisjordanie dans une rue de Hébron, décapité.

Depuis ce jour d’avril 2021 où il avait pris contact avec elle pour la première fois, Rita Petrenko n’avait jamais perdu sa trace, le suivant de refuge en refuge, l’accompagnant dans le dédale de l’administration afin de l’aider à obtenir un statut légal en Israël. « Le matin du 5 octobre, il était à Tel-Aviv pour apporter ses affaires dans un nouveau foyer », raconte-t-elle. Le soir même, à 70 kilomètres de là, mais dans un autre univers, la police palestinienne découvrait son cadavre.

Que s’est-il passé au cours de cette journée ?

Comment cet homme de 25 ans, qui se savait menacé s’il retournait en Cisjordanie, a-t-il pu quitter Tel-Aviv, la grande ville israélienne, moderne, tolérante, pour la conservatrice Hébron ? A-t-il été enlevé ? Autant de questions qui restent en suspens puisque la police palestinienne, en charge de l’enquête, n’a pour l’heure publié aucune information. « Nous pensons que quelqu’un qu’il connaissait, en qui il avait confiance, a réussi à le convaincre de partir avec lui, poursuit Rita Petrenko, et que ce quelqu’un l’a conduit à Hébron. » Là, qui l’attendait pour le tuer ?

L’ultime journée d’Ahmed Abou Murkhiyeh est encore remplie de points d’interrogation, mais ses derniers mois sont mieux connus et, tristement, assez semblables à ceux de ces homosexuels et autres membres de la communauté LGBT contraints de quitter la Cisjordanie pour sauver leur peau.

Risque d’expulsion en Israël

La vie d’Ahmed Abou Murkhiyeh a basculé au début de l’année 2021, lorsque sa famille, qui habite un village proche de Hébron, a découvert son homosexualité par le biais d’une vidéo publiée sur les réseaux sociaux. Le jeune homme est alors enfermé dans sa chambre et battu plusieurs jours durant. Quand il réussit à s’enfuir, il se rend à Ramallah: la ville, réputée pour une certaine liberté de mœurs, est fréquentée par des homosexuels palestiniens. Mais la Cisjordanie est une île: les distances y sont petites et tout le monde se connaît. Sa famille découvre vite sa cachette. Il change d’appartement, reçoit à nouveau des menaces de mort, doit fuir encore. Cette fois, il passe, en clandestin, de l’autre côté de la frontière.

En Israël, ce n’est plus l’homosexuel qui est menacé, mais le Palestinien qui, sans papiers, risque de se faire expulser au premier contrôle de police. C’est alors qu’il prend contact avec Rita Petrenko, dont le nom et le numéro de téléphone circulent parmi les homosexuels palestiniens qui se savent en danger. Rita Petrenko dirige al-Bait al-Mokhtalef, « la maison différente », une des deux associations qui prennent en charge et soutiennent les homosexuels palestiniens contraints de se réfugier en Israël. Chaque année, dit-elle, une vingtaine de personnes la contactent pour des raisons semblables. Pour les protéger, elle refuse de dévoiler leurs noms et les endroits où ils sont accueillis. Ces foyers sont surtout tenus par Elem, une association financée en partie par des fonds publics, qui a ouvert neuf centres destinés aux jeunes Arabes en Israël. En 2021, Elem a ainsi accueilli 214 jeunes Arabes en situation précaire : des jeunes à la rue, drogués, prostitués, et des homosexuels en péril de mort.

Certains arrivent en croyant que leur vie sera meilleure, mais je les mets vite face à la réalité, ils ne doivent pas se faire d’illusion, c’est de la survie pour eux ici.

Afin de régulariser leur présence en Israël, ils doivent demander un visa de résidence qui leur est accordé s’ils peuvent prouver que leur vie est en danger de l’autre côté de la frontière, notamment du fait de leur orientation sexuelle. « Certains arrivent en croyant que leur vie sera meilleure, mais je les mets vite face à la réalité, ils ne doivent pas se faire d’illusion, c’est de la survie pour eux ici », poursuit Rita Petrenko. Il y a quelques mois encore, ce statut de résident ne leur donnait pas le droit de travailler. Seule solution : le travail au noir, voire la prostitution. Il y a un an, à Haïfa, le suicide d’un Palestinien transgenre prostitué avait déjà souligné les difficultés extrêmes rencontrées par ces personnes réfugiées, mais encore privées du droit de travailler.

Errance de foyer en foyer

En juillet dernier, la Haute Cour de justice d’Israël a finalement statué que les Palestiniens autorisés à vivre en Israël pour assurer leur sécurité seraient autorisés à y travailler. Cette décision a été obtenue notamment grâce à la mobilisation d’Ibtisam Maraana, une députée de la Knesset, membre du Parti travailliste. « Dans la société palestinienne, on tue les homosexuels pour laver la honte qu’ils font retomber sur la famille, explique-t-elle. La plupart du temps, cela passe inaperçu, car ceux qui savent la vérité ont peur de parler et parce que la police palestinienne ne cherche pas à retrouver les meurtriers. » Selon elle, une centaine de personnes seraient actuellement réfugiées en Israël pour des raisons semblables. « C’est un très petit pays ici, poursuit Ibtisam Maraana. Ceux qui s’enfuient restent géographiquement proches de ceux qui les menacent. C’est pourquoi beaucoup rêvent du Canada ou de l’Australie. Mais lorsqu’ils parviennent à obtenir le statut de réfugié dans un autre pays, ce n’est pas plus facile : ils se retrouvent seuls, loin de chez eux, sans parler la langue, sans aide. Je pense que la meilleure solution est de les aider à refaire leur vie ici, en Israël. » Dans les deux mois qui viennent, annonce-t-elle, deux nouveaux foyers destinés aux homosexuels palestiniens réfugiés en Israël vont ouvrir. Ils compteront 50 places. Selon elle, 200 personnes sont déjà sur la liste d’attente.

Assez vite, Ahmed Abou Murkhiyeh a obtenu un visa de résidence en Israël. Il est alors accueilli à Haïfa, dans un foyer d’urgence, pour une durée limitée à quatre mois. Ne pouvant louer d’appartement puisqu’il n’a pas encore le droit de travailler, il doit bientôt chercher un autre foyer. Rita Petrenko lui trouve une solution à Jérusalem. Quatre mois plus tard, il est à Tel-Aviv, dans un nouveau refuge. Et ainsi de suite, de ville en ville. Fatigué de cette vie, il envisage de quitter Israël. Au moment de sa mort, il était en train de démarrer la procédure qui aurait pu lui permettre, trois ou quatre ans plus tard, d’être accueilli dans un autre pays.

La nouvelle du meurtre d’Ahmed Abou Murkhiyeh a causé une véritable onde de choc dans le petit monde des LGBT palestiniens réfugiés en Israël. Dans les jours qui ont suivi, Rita Petrenko dit avoir été contactée par cinq homosexuels palestiniens cachés en Israël. Elle leur a trouvé un foyer d’urgence et a démarré, avec eux, de nouvelles procédures administratives. « Ces gens survivent ensemble. Ils se connaissent tous. Ils ont été très choqués et, surtout, depuis, ils ont encore plus peur », explique Rita Petrenko.

Sauvé par l’armée

C’est le cas de Mahmoud*. Ce jeune homme, qui vit à Haïfa, croisait parfois Ahmed Abou Murkhiyeh. Originaire de Jénine, il dit avoir quitté la Cisjordanie en novembre 2020, quand son grand frère, qui l’avait surpris en pleine conversation avec un ami, aurait tenté de le tuer. On lui donne alors le contact de « Rita », qui l’aide à prendre pied en Israël. Il y a un an, il a failli connaître un sort semblable à celui d’Ahmed Abou Murkhiyeh. C’était le 12 décembre 2021. Ce qui lui est arrivé ce jour-là lui a causé une telle frayeur qu’il refuse toute rencontre avec des inconnus. Contacté finalement par visioconférence, il accepte de raconter ce qui lui est arrivé quand trois personnes ont toqué à la porte de son appartement. « Deux étaient des Arabes d’Haïfa, mais le troisième venait de Jénine. Ils devaient me surveiller depuis plusieurs jours, car ils savaient que j’étais seul dans mon appartement à ce moment-là. Ils pensaient que j’avais de l’argent parce que je suis gay. » Il ouvre la porte, les hommes rentrent en force. « Ils m’ont attaché les mains et m’ont frappé à la tête avec un marteau. » Il perd connaissance. Les hommes l’emportent, le cachent dans le coffre de leur voiture et se dirigent vers la Cisjordanie « pour me tuer ».

Près de Salem, une ville arabe d’Israël qui jouxte la Cisjordanie, leur voiture est contrôlée par l’armée. « Les soldats leur ont demandé ce qu’ils faisaient dans la région et comme ils n’ont pas été capables de donner une réponse satisfaisante, ils ont fouillé la voiture.» En ouvrant le coffre, ils découvrent le jeune homme, la tête couverte de sang. Il est hospitalisé et, malgré plusieurs mois de soins, a gardé sur son visage des traces de son calvaire. Désormais, il vit dans la peur. « Je suis isolé, je ne fais confiance à personne, je suis toujours sur mes gardes quand je sors de chez moi. Les Palestiniens qui ont des tendances sexuelles différentes sont en danger en permanence et partout », dit-il. Il souhaite dorénavant quitter Israël, où il ne se sent pas en sécurité, et vivre dans un autre pays.

* Le prénom a été modifié