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 d’ADHEOS

Inquiété pour non-dénonciation de crime pédophile dans l’enquête visant un prêtre de son diocèse, le cardinal de Lyon a été soutenu du bout des lèvres par la conférence des évêques de France
 
Messes obligent, le dimanche, c’est sûr, est un gros jour de taf pour les évêques et les curés. La plupart de ceux sollicités par Libération pour s’exprimer sur l’affaire Barbarin, sans doute trop occupés, se sont obstinément retranchés derrière leur répondeur. A une ou deux exceptions près. «Vous voulez m’interroger sur l’affaire Barbarin ? se hasarde cet évêque du centre de la France, le plus courageux. Franchement, je ne peux rien en dire. Je n’en sais pas plus que ce que j’ai lu dans la presse.» Signe de l’embarras que suscite cette affaire. Preuve aussi de l’influence (même silencieuse) qu’exerce le cardinal Philippe Barbarin sur le catholicisme français. Autour de Roanne (Loire) et de Lyon (Rhône), les prêtres qui, pour certains, avaient apporté leur soutien aux victimes présumées de l’abbé Bernard P., mis en examen le 27 janvier pour agressions et viols sur mineurs de 15 ans, se refusent désormais à tout contact avec la presse.
 
En quelques jours, l’Eglise catholique en France a vu se réveiller le cauchemar du début des années 2000, celui de l’affaire Pierre Pican. Pour la première fois dans l’histoire, un évêque catholique, celui de Bayeux et Caen, dans le Calvados, était condamné à trois mois de prison avec sursis pour n’avoir pas porté à la connaissance de la justice les agissements d’un prêtre pédophile de son diocèse et donc sous sa responsabilité.
 
Service minimum
 
Vendredi, le parquet de Lyon a confirmé qu’une enquête préliminaire était ouverte pour non-dénonciation de crime et mise en péril de la vie d’autrui, en marge de l’affaire Bernard P. Comme le montrent des échanges de mails et des témoignages directs de victimes présumées, Philippe Barbarin a été alerté à plusieurs reprises sur les agissements du prêtre, ceux datant, selon ses dires, d’avant 1991. Dans la foulée, une des victimes présumées a aussi porté plainte contre le cardinal et archevêque de Lyon et cinq autres personnes. Pesé au milligramme, un communiqué daté du 3 mars affirme que le cardinal et le diocèse coopéreront dans la «sérénité et [la] confiance» avec la justice.
 
Barbarin a prétendu dans un premier temps avoir pris la décision de suspendre de ses fonctions le père Bernard P. dès 2014. Une version immédiatement contestée par Alexandre H., la victime présumée qui a relancé l’affaire à l’été 2014. «C’est seulement début mars 2015 qu’il m’a fait part de cette décision», explique-t-il à Libération. En fin de compte, le diocèse, sollicité par Libération, a reconnu s’être trompé dans sa déclaration.
 
Discret jusqu’au silence, l’épiscopat s’est fendu d’un très bref communiqué, à peine six lignes de «soutien» au cardinal Barbarin, l’assurant de «ses prières». Un service minimum, en quelque sorte, qui laisse poindre une crainte manifeste des suites judiciaires et une peur de la polémique qui commence à enfler.
 
L’affaire Barbarin prend aussi une tournure politique. Ultra médiatique, le cardinal et archevêque de Lyon est l’un des fers de lance des mouvements pro-vie, opposés à l’avortement comme à l’euthanasie. Quelques voix ont commencé à s’élever, ce week-end, pour réclamer le retrait ou la démission de l’archevêque de Lyon. Pour protéger son institution, comme le préconise le député de Seine-et-Marne Yves Jégo (UDI). La droite catholique identitaire est, elle, vent debout pour défendre «son» cardinal. Dans ses rangs, on soupçonne «le lobby LGBT» de régler ses comptes après les combats pour le mariage gay. Cette théorie du complot ne tient guère la route. A moins de faire du fleuron de la presse catholique, le quotidien la Croix, un supporteur de ces milieux. Le 11 février, il publiait, au niveau national, la première grande – et excellente – enquête sur l’affaire Bernard P. Localement, elle avait été révélée, en octobre, par le Pays roannais et la Tribune de Lyon. «Nous sommes dans une démarche citoyenne, c’est tout. Nous voulons seulement que nos enfants ne soient pas en danger», corrige de son côté François Devaux, le président de l’association La Parole libérée, qui regroupe les victimes présumées du père Bernard P.
 
Quoi qu’il en soit, le sort de Barbarin se joue à Rome. Car le signal d’une éventuelle démission viendra de là-bas. Le ton de son dernier communiqué ne laisse pas présager une telle option. Pour le moment, le cardinal français bénéficie encore du soutien du Vatican. Habilement, l’archevêque de Lyon le rappelle d’ailleurs dans sa déclaration du 3 mars, citant le porte-parole du pape, le jésuite Federico Lombardi. Le 19 février, ce dernier déclarait sur Radio Vatican que Barbarin avait agi avec une «extrême responsabilité» dans l’affaire du père Bernard P.
 
De quoi faire bondir les victimes présumées.
 
«Pour le moment, le pape François a une certaine difficulté à évaluer la situation», explique, à Rome, une source proche du Vatican. La semaine dernière, quelques émissaires officieux ont pris discrètement des contacts en France afin de recueillir des informations. Et prendre la température… Ces éléments devaient être rapportés à un des proches – et très influents – conseillers du pape. «François aime bien le cardinal Barbarin», souligne la même source, un élément qui explique, pour le moment, un certain embarras papal. Parmi les évêques français, Barbarin est, de fait, le seul à avoir côtoyé (un peu) le jésuite argentin avant qu’il ne devienne pape.
 
«Courtisan»
 
Le cardinal et archevêque de Lyon, selon un bon connaisseur des milieux ecclésiastiques, sait «être aussi un courtisan». Peu en cour sous le pontificat de Benoît XVI, Barbarin était en train de rattraper son retard dans les couloirs du Vatican, montrant un certain empressement auprès du pape latino. De quoi donner du baume au cœur à François qui, souvent, s’est plaint du manque de soutien de la part des évêques français. A l’exception de l’épiscopat allemand, la politique papale de réforme est peu soutenue en Europe. Plus conservateur que son «patron», Barbarin n’en a pas moins choyé ses relations avec lui.
 
S’il ne bouge pas, le pape risque de se mettre en contradiction avec ses propres choix. En rentrant du Mexique, François, lors de la conférence de presse du 17 février à bord de son avion, a rappelé qu’un évêque qui déplaçait un prêtre pédophile d’une paroisse à l’autre «devait démissionner». «C’est clair», a-t-il ajouté. Toutefois, à l’instant où ils étaient prononcés, ces mots ne visaient pas directement Philippe Barbarin mais la situation aux Etats-Unis et au Mexique. Si l’affaire s’envenimait à Lyon, au fur et à mesure du développement de l’enquête, l’archevêque de Lyon pourra-t-il faire exception à la règle posée par le pape lui-même ? Pour l’heure, l’ancienneté des faits dans l’affaire Bernard P. lui laisse du répit.
 
Dans la foulée du pape Benoît XVI, François réclame à cor et à cri une tolérance zéro dans les affaires de pédophilie. Finir ce nettoyage est l’un des enjeux majeurs de l’actuel pontificat qui cherche à redonner de la crédibilité à un christianisme en recul en Occident. Il a confié cet épineux dossier à l’intraitable franciscain Seán O’Malley, le successeur à Boston du cardinal Law, l’un des protagonistes du récent film oscarisé Spotlight (que le Vatican conseille d’aller voir). A Rome, le pape a mis en place la Commission pontificale pour la protection des mineurs qui se heurte encore à l’inertie des habitudes. Un de ses membres, l’ancienne victime Peter Saunders, a récemment démissionné avec perte et fracas en raison de la «lenteur des travaux». Bref, le pape redoute l’incendie en France. En son temps, Benoît XVI a discrètement démis plusieurs évêques de leurs fonctions en raison de leur déplorable attitude dans la gestion du dossier des prêtres pédophiles. Comment le pape François va-t-il, lui, appliquer sa «tolérance zéro» au diocèse de Lyon ?