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 d’ADHEOS

Pourquoi les maires ne peuvent-ils/elles pas bénéficier d’une clause de conscience? Le juriste Daniel Borrillo fait le point.
 
Les opposant.e.s au mariage pour tous viennent de perdre leur dernier combat judiciaire. Le Conseil constitutionnel a refusé la clause de conscience pour les maires qui ne souhaitent pas célébrer des mariages de couples homosexuels. Le 20 novembre 2012, devant l’Association des maires de France, le président François Hollande avait reconnu la liberté de conscience aux maires qui refuseraient de célébrer des mariages entre personnes du même sexe. Les déclarations du chef de l’État doivent être placées dans le contexte particulièrement tendu, suite à une pétition menée par le Collectif des maires pour l’enfance et La ligue du sud du maire d’Orange Jacques Bompard (ex-FN) contre le projet de loi «visant à ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe». Même si le Président est revenu rapidement sur ces propos en affirmant que la loi «va s’appliquer partout, dans toutes les communes», un certain nombre de maires récalcitrants ont décidé de saisir le Conseil constitutionnel, ils et elles considèrent que l’absence dans la loi de disposition garantissant la liberté de conscience serait contraire à la Constitution.
 
Dans sa décision du 18 octobre, le Conseil constitutionnel ne fait que rappeler une évidence juridique: la liberté de conscience est une prérogative individuelle permettant d’échapper à une obligation juridique, elle ne vise nullement un représentant de l’État qui, dans l’exercice de ses fonctions et indépendamment de ses convictions, est obligé de respecter la loi sous peine de sanction.
 
D’origine religieuse, la liberté de conscience permet à un individu d’opposer une conviction personnelle profonde à une prescription établie par la loi. Pour faire valoir la liberté de conscience, il est nécessaire que celle-ci ne soit pas fondée sur une simple opinion mais sur une véritable conviction se traduisant par «des vues atteignant un certain degré de force, de sérieux, de cohérence et d’importance». Ainsi, un médecin peut, à titre personnel, s’opposer à pratiquer une interruption volontaire de grossesse ou un chercheur de manipuler de cellules souches pour des raisons religieuses.
 
Dans le cas qui retient notre attention, certain.e.s maires qui considèrent l’homosexualité moralement condamnable ou socialement nuisible prétendaient invoquer leur for intérieur pour conformer leur attitude à cette conviction personnelle. Si les religions monothéistes condamnent l’homosexualité, cette condamnation ne peut nullement être acceptée comme fondement d’une quelconque liberté de conscience. Dans les sociétés démocratiques, l’homosexualité a cessé d’être considérée comme une infraction ou comme une maladie. La Cour européenne des Droits de l’Homme a statué a plusieurs reprises qu’une loi pénale condamnant les relations entre personnes de même sexe constituait une violation de la vie privée. Et l’Organisation mondiale de la Santé a retiré depuis plusieurs années l’homosexualité de la liste des maladies mentales.
 
La justice française avait déjà sanctionné la clause de conscience dans un cas similaire. En effet, dans une décision du 1er septembre 2011, la Cour d’appel de Papeete a statué qu’un maire refusant de célébrer le mariage d’une transsexuelle «a commis en connaissance de cause un acte positif entrant dans les prévisions de l’article 432-1 du code pénal, dans la mesure où ce refus faisait échec à l’application de la loi sur le mariage».
 
Concernant la délégation à un.e adjoint.e, le Conseil d’État a statué en 2006 qu’une délégation, pour être régulière, doit porter sur des attributions effectives, identifiées de façon suffisamment précise pour permettre d’en apprécier la consistance. Dans le respect de ces conditions et jamais en raison de la clause de conscience, un maire peut déléguer la célébration du mariage tout en s’assurant qu’il aura un.e de ses adjoint.e.s qui le fera sous peine d’engager sa responsabilité pénale.
 
La responsabilité administrative du maire peut également être engagée: l’article L2122-16 du Code général des collectivités territoriales statue: «Le maire et les adjoints, après avoir été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peuvent être suspendus par arrêté ministériel motivé pour une durée qui n’excède pas un mois (…) La révocation emporte de plein droit l’inéligibilité aux fonctions de maire et à celles d’adjoint pendant une durée d’un an à compter du décret de révocation à moins qu’il ne soit procédé auparavant au renouvellement général des conseils municipaux».
 
Le Conseil constitutionnel met fin à toute tentative de refuser d’appliquer la loi en raison de ses convictions personnelles. Aujourd’hui, il s’agit des couples homosexuels, demain un maire peut s’opposer à célébrer un mariage entre personnes de religions différentes ou n’appartenant pas à la même origine ethnique…
 
La loi ne demande pas aux maires de tenir compte des caractéristiques personnelles des futur.e.s conjoint.e.s, peu importe qu’ils et elles soient croyant.e.s ou athées, juifs/ves ou protestant.e.s, noir.e.s ou blanc.he.s, homosexuel.le.s ou hétérosexuel.le.s, la seule chose que l’on demande à un maire c’est de faire son travail en respectant la laïcité et la neutralité du service public.
 
  • Daniel Borrillo, juriste
  • Source YAGG