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 d’ADHEOS

 Créé en 1984, le magazine Fugues est pratiquement né en même temps que le Village et l’apparition du SIDA. Ces deux phénomènes ont marqué le magazine au point d’en façonner l’identité. Entre les suggestions de sorties et la conscientisation, Fugues a su trouver un équilibre qui lui a permis de traverser le temps.
 
Au départ, Fugues était une revue conçue à même le salon de son fondateur, Martin Hamel. Presque 30 ans plus tard, il s’est imposé comme LE magazine de la communauté gaie du Québec, avec un des plus importants tirages chez les médias gais du Canada.
 
En 1984, Fugues n’était pas le premier magazine gai. On trouvait notamment Rencontres Gaies (RG) et Attitude. Lorsque ce dernier a cessé d’être publié, Martin Hamel a lancé Fugues.
 
 La revue s’inscrivait alors dans la continuité des autres publications gaies. «Le Fugues d’origine couvrait la vie de nuit, les bars et les saunas», explique Yves Lafontaine, rédacteur en chef du magazine depuis 1994. C’était l’époque où les bars gais commençaient à migrer du centre-ville vers le centre-sud. Le Village prenait vie peu à peu.
 
Outre le contexte historique, la vie nocturne était et demeure une composante centrale de nombreux médias gais, puisque les bars jouent un rôle important dans la construction de la communauté.
 
«Tout village, toute communauté, existe dans la mesure où il y a rencontre, explique M. Lafontaine. C’est en étant dans un groupe qu’on prend conscience de ce qui nous distingue des autres et qu’on réalise que d’autres sont comme nous.»
 
Mais parallèlement à cette vie festive, la mort de plusieurs personnes des suites d’une étrange pneumonie et d’une maladie de peau rare inquiétait de plus en plus. Le mot commençait à circuler: SIDA. Pas question pour Fugues d’occulter ce phénomène.
 
«Dès le premier numéro, le Dr Réjean Thomas a signé un texte pour avertir les gens de l’apparition d’une maladie, se rappelle M. Lafontaine. On parlait de cancer gai. Très tôt, il y a eu une volonté de conscientiser les gens. On leur disait d’aller se faire tester, de porter le condom, etc.»
 
Cette position n’était pourtant pas facile à défendre. M. Lafontaine admet d’emblée que certains lecteurs dénonçaient cette «désinformation». «Pour être franc, ça a pris du temps avant que les gens soient conscientisés. Ils ont été sceptiques jusqu’à ce que ça frappe fort», ajoute-t-il.
 
Yves Lafontaine, qui écrivait pour la revue de cinéma 24 images, est arrivé chez Fugues par hasard, en 1994, après avoir rencontré M. Hamel lors du festival de films gais et lesbiens, Imagination, commandité par Fugues, notamment. La transformation du magazine qui a suivi l’arrivée de M. Lafontaine n’a toutefois rien eu de fortuit.
 
Ayant fait des études en marketing à HEC, il a compris qu’il devait diversifier le contenu et s’entourer de plumes professionnelles impliquées dans la communauté. Des sections et des chroniques ont été mises sur pied et André Roy, Denis-Daniel Boullé, André C. Passiour ou encore Richard Burnett se sont joints à l’équipe. Au milieu des années 1990, Fugues rejoignait un public plus vaste que la communauté gaie. Le défi devenait dès lors de conserver son identité. Pour y parvenir, le magazine a préféré scinder son contenu afin de répondre plus adéquatement aux besoins de diverses catégories de lecteurs.
 
En 1993, Gazelle (qui n’est plus publié) a vu le jour et s’adressait aux lesbiennes. L’année suivante, Zipper (aujourd’hui Zip) a été créé pour y insérer son contenu plus érotique.
 
Le dernier en date est le magazine Décorum, mis sur pied en 2005 pour y regrouper le contenu touchant à la décoration qui commençait à occuper de plus en plus de place. «Il y avait un risque d’être perçu comme un magazine de décoration, précise M. Lafontaine. Pour ne pas nuire au branding de Fugues, nous avons décidé de créer une autre revue qui s’adresse à la même clientèle, mais dans un contenu différent.»
 
Au cours des dernières années, le défi du magazine a aussi été de conserver sa raison d’être par-delà les luttes pour l’égalité. C’est qu’en 30 ans d’existence, le contexte social a beaucoup évolué. En 1984, des rafles policières visant les homosexuels survenaient encore à l’occasion.
 
La lutte pour faire reconnaître les droits des gais s’inscrivait naturellement dans le mandat de Fugues. «Mais à partir du moment où l’orientation sexuelle ne pouvait plus être un motif de discrimination, où on a reconnu les conjoints de faits de même sexe, où l’adoption et le mariage ont été possibles… on s’est retrouvé avec une égalité, vers 2004», précise M. Lafontaine.
 
Cela ne signifie pas qu’il n’y a plus d’injustices, mais légalement, les homosexuels ont maintenant des protections légales. Ainsi, avec les années, le militantisme de Fugues est devenu plus subtil, à l’image de celui de la communauté. Et comme ces avancées se sont fait progressivement, M. Lafontaine a eu le temps, avec son équipe, de réfléchir et de planifier «l’après».
 
«On ne parle plus du mariage de la même manière. Si on fait un spécial mariage, on va suggérer des endroits pour se marier, des habits des voyages. Ce n’est plus «il faut avoir le droit de se marier.»
 
Il a également fallu réfléchir à l’espace à accorder au SIDA. S’il n’existe toujours pas de remède à cette maladie, les victimes vivent plus longtemps et le virus n’est plus associé au «cancer gai». Au tournant des années 2000, les magazines gais ont même parlé d’une ère post-SIDA.
 
«En 2002, on a eu une réflexion et on a décidé que Fugues continuerait d’en parler, explique M. Lafontaine. D’abord, parce que 11 à 12% de nos lecteurs sont séropositifs. Ensuite, parce qu’on diversifie le contenu. Parfois, on s’adresse aux séropositifs, ou aux négatifs, on parle d’une étude, etc.» La façon d’en parler a donc évolué, à l’image de la maladie.
 
Des lecteurs se plaignent toutefois à l’occasion de la place importante accordée à ces sujets. Mais cela fait partie des responsabilités de Fugues, estime M. Lafontaine.
 
Dans les prochaines années, le magazine misera sur la technologie pour se développer avec des applications mobiles ou en améliorant son site internet. Mais pas question de mettre la version papier de côté. Chez Fugues, la technologie, à l’instar du contenu, cherche à s’adapter à son époque, sans laisser personne de la communauté de côté.
 
L’époque des descentes
 
À partir de 1975, le Comité de moralité publique du maire Jean Drapeau sévissait contre la communauté gaie et plusieurs saunas ont été forcés de mettre la clé sous la porte.
 
En 1977, une descente a été effectuée au Truxx et 140 gais ont été arrêtés. L’histoire s’est répétée en 1984, au Buds, où la police a embarqué 188 personnes. La dernière date de 1990 au Sex Garage Party, dans un loft du Vieux-Montréal. Près de 400 personnes ont été arrêtées et/ou brutalisées.
 
Chaque rafle a provoqué des manifestations d’homosexuels en colère et Fugues s’inscrivait dans ce contexte. «Le militantisme des années 70-80 en était un de combat, une question de vie ou de mort», souligne Yves Lafontaine, rédacteur en chef.
 
Pas de sujets tabous
 
S’il n’y a pas de sujets tabous chez Fugues, certains articles requièrent beaucoup de réflexion. Par exemple, au début des années 1990, M. Lafontaine a entendu parler du bareback, une pratique consistant à avoir des relations sexuelles sans condoms et sans nécessairement savoir si le partenaire est porteur du VIH. «Quand on a entendu parler du bareback, en 1994, c’était un phénomène américain, indique le rédacteur en chef. On a décidé de ne pas en parler tout de suite.»
 
Ils ont toutefois choisi d’aborder la question lorsque les médias traditionnels se sont emparés du sujet, vers 1998.
 
«J’ai décidé qu’on allait en parler de façon sérieuse quand j’ai vu qu’il se disait un peu n’importe quoi dans les quotidiens, dit-il. Je me suis dit que c’était important de prendre position et de ne pas diaboliser les gens qui ont des pratiques non protégées. Il fallait les comprendre et les sensibiliser. Mais ce n’est pas en les diabolisant qu’on allait régler la problématique de la transmission du VIH.»

Et les filles?
 
Parmi tous les créneaux développés par l’équipe de Fugues, un des seuls échecs commercial des éditions Nitram reste le magazine Gazelle, qui a été publié de 1993 à 1999 avec à sa tête Claudine Metcalfe. Au cours de son existence, il n’a jamais réussi à faire ses frais.
 
Le désir de se retrouver et consommer de manière communautaire est beaucoup moins grand dans la communauté lesbienne, croit M. Lafontaine. «À partir du moment où les filles sont en couple, elles sortent moins. La base de la communauté repose en partie sur les bars, les commerces, etc. Dans le village, on retrouve de jeunes femmes de 18-30 ans, mais après, elles sont minoritaires», dit-il.
 
Comme il existe beaucoup moins de commerce s’adressant aux lesbiennes, on trouve beaucoup moins d’annonceurs souhaitant acheter des espaces publicitaires dans le magazine. Pour une publication gratuite, les annonces représentent le nerf de la guerre.
 
Même si le magazine n’a pu être rentable, les lesbiennes ne sont pas en reste. Dès la fin de Gazelle, Fugues a intégré une section ELLES dans ses pages. Il existe également des magazines lesbiens publiés par d’autres éditeurs, comme les magazines Entre Elles et Sapho.