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 d’ADHEOS

Dans sa nouvelle pièce « Le Banquet d’Auteuil » jouée jusqu’à fin avril au Théâtre 14 à Paris, le dramaturge Jean-Marie Besset s’intéresse avec brio à l’homosexualité supposée de Molière… Du théâtre intelligent où l’on se rince sacrément l’œil !
 
Rares sont les auteurs contemporains dont la langue continue de faire honneur au théâtre. Jean-Marie Besset est de ceux-là. Son répertoire (Perthus, RER, Les Grecs) prend, plus d’une fois, la beauté et la rigueur des classiques tout en se préservant d’un maniérisme abscons. C’est donc avec grand intérêt que l’on découvre pour la première fois à Paris Le Banquet d’Auteuil (pièce écrite en 2011 et créée en janvier 2014 à Montpellier), qui pose une question soigneusement éludée de nos manuels de français et autres Lagarde & Michard : Molière était-il gay ?
 
Lassé des infidélités de sa femme, gagné par le maladie, Molière (Jean-Baptiste Marcenac) s’est retranché dans sa maison d’Auteuil avec son ami, l’écrivain Chapelle (Hervé Lassïnce), en même temps qu’il s’est amouraché de Michel Baron (Félix Beaupérin), éphèbe au corps de statue grecque, qui rêve de faire carrière dans la comédie . Un soir de mai 1670, les compères donnent un dîner interlope où les « débauchés » de l’époque (Lully en tête) les rejoignent, flanqués de leurs mignons. Comme lors du banquet platonicien, on y cause, entre deux verres de vin, d’amitié et d’amour, de désir et de culte de la jeunesse. Quand soudain arrive le fantôme de Cyrano (génial Alain Marcel) qui, tel le spectre du Commandeur, confronte cette assemblée de Don Juan à leur frénésie libertine. Et voilà que se rejoue, sous nos yeux, une version masculine (et dénudée à vous en donner des complexes) du jugement de Pâris, à savoir qui, du jeune comédien, du danseur et de l’escrimeur, a le plus beau postérieur… On vous laisse juger.
 
Jean-Marie Besst avait déjà évoqué les amours homosexuelles de Molière dans sa pièce Baron. Il remet ici le couvert au risque de bousculer bon nombre d’idées reçues sur un homme habituellement perçu comme un coureur de jupons. Dans cette optique, certaines pièces, comme Les Fourberies de Scapin, prennent tout à coup une couleur crypto-gay qu’on ne leur soupçonnait pas. Alors fantasme ou réalité ? Même si Besset, s’autorise une relecture un peu fantasmée d’un banquet orgiaque qui, lui, s’est réellement déroulé, ses supputations sur la sexualité des protagonistes ne viennent pas de nulle part. Il lui a fallu d’ailleurs quatre ans d’enquête pour écrire cette pièce, s’appuyant notamment sur les écrits de spécialistes (Michel Cournot, François Regnault et Chantal Meyer-Plantureux). Car on se doute bien qu’à une époque où l’homosexualité était passible de mise à mort sur la place de grève, les gays évitaient de s’afficher ou de laisser des indices. Il faut donc, aujourd’hui, beaucoup d’acuité pour lire entre les lignes… voire un sérieux talent de Miss Marple ! Vrai ou pas, le postulat reste en tout cas passionnant et donne lieu à un spectacle qui va bien au-delà de la simple leçon d’histoire.
 
Après une première scène un peu longuette, Le Banquet d’Auteuil trouve sa vitesse de croisière dès l’ouverture du dîner. Il faut dire que la distribution est parfaite et que chaque comédien (qui renvoie à sa manière à un archétype homo) s’empare avec brio de sa partition. La mise en scène de Régis de Martrin-Donos joue la carte de l’épure et utilise habilement paravents, chandeliers et tréteaux pour véhiculer un parfum de XVIIè siècle. De son côté, l’anachronisme des costumes laisse entendre les visées intemporelles de cette école des hommes où se retrouvent toutes les générations, du giton au géronte. Pour Besset, en effet, ces libertins ont ouvert la voie aux futurs libres-penseurs « hérétiques » (Sade, Gide, Foucault, Pasolini). Plus simplement, on peut aussi trouver qu’ils rentrent en résonance avec la vie gay d’aujourd’hui. Le sugar daddy a certes eu son heure de gloire, ses velléités « pédagosocratiques » restent bien ancrées dans les moeurs, avec toujours, à la clé, la question du prix de la liberté de l’autre quand le désir se montre trop excluant. De même, faites le test (ou souvenez-vous d’une de vos dernières soirée): mettez de la chair fraiche dans un groupe d’amis et vous verrez que, bien vite, les esprits vont s’échauffer !
 
En somme, ce banquet moderne avant l’heure est tout aussi lucide que cynique. Et alors que sonne l’heure du petit matin, il nous laisse avec une ultime interrogation : dans cette recherche continuelle de la jouissance, la mort est-elle la seule manière pour contenir le plaisir ? A cette question, Le Banquet d’Auteuil nous donne des ouvertures qui ne sont pas forcément réjouissantes… mais qui restent terriblement vraies !
 
Le Banquet d’Auteuil, une pièce de Jean-Marie Besset
Mise en scène de Régis de Martrin-Donos. Au Théâtre 14, jusqu’au 25 avril