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 d’ADHEOS

La confusion entretenue par la «Manif pour tous» entre filiation et reproduction inquiète le juriste Daniel Borrillo, qui a donc décidé d’éclaircir la question.
 
«LA FILIATION N’EST PAS NATURELLE!», PAR DANIEL BORRILLO
Le XVIe arrondissement de Paris a accueilli le Dimanche des Rameaux une nouvelle manifestation contre le mariage pour tous dans laquelle un certain nombre de pancartes exprimaient le caractère naturel des liens de filiation: «mariage = 1 homme + une femme», «Tous nés d’un homme et d’une femme», «1 père + 1 mère, c’est élémentaire», «Non à la filiation/fiction», «1 papa 1 maman, on ne ment pas aux enfants»…
 
Relayés par la presse conservatrice et répétés ad nauseam par l’opposition dans le débat parlementaire, ces slogans risquent d’éclipser la complexité de la question et de faire émerger des solutions aussi simplistes que dangereuses. C’est pourquoi, à quelques jours du débat au Sénat, un certain nombre de précisions s’impose. Bien que le projet de loi se limite au mariage et à l’adoption, les opposants à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe ne cessent d’avancer des arguments relatifs à la filiation en la présentant comme un fait de nature. Or, cette confusion entre filiation et reproduction est particulièrement choquante pour une société démocratique. Le droit peut certes tenir compte de la nature mais, en tant que dispositif d’agencement parental, la filiation répond à des règles propres, affranchies de la biologie: l’adoption, la procréation artificielle avec donneur, ou l’accouchement sous X en témoignent. Comme le soulignait le doyen Cornu: «Le droit de la filiation n’est pas seulement un droit de la vérité (biologique) c’est aussi un droit de la vie, de l’intérêt de l’enfant, de la paix des familles, des affections, des sentiments moraux, de l’ordre établi du temps qui passe…».
 
Le droit moderne rompt avec le naturalisme du droit canonique. Désormais, sur le plan juridique, ce ne sont pas tant les racines naturelles des institutions qui comptent mais la réalisation d’objectifs concrets comme la transmission du patrimoine, la solidarité intrafamiliale, la protection des plus faibles… C’est au cœur de ce modèle civiliste qui s’inscrit le projet de loi sur le mariage pour tous. C’est dans cet esprit qui devrait s’organiser également le débat sur la «loi famille» annoncé pour le mois d’octobre prochain.
 
L’ère contemporaine, avec l’avènement des techniques de procréation «artificielle», permet la dissociation entre sexualité et reproduction et la création d’une parenté exclusivement féminine ou exclusivement masculine, parfaitement en accord avec le droit (rappelons-nous que l’adoption plénière par un individu est autorisée en France depuis 1966). Mais, au-delà du mariage et l’adoption, il s’agit également de permettre l’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour tous. Le problème c’est que l’AMP n’a pas été pensée politiquement ni construite juridiquement sur la base d’un droit ou d’une liberté (comme l’IVG ou la contraception), elle relève d’un acte médical qui sert à pallier une stérilité ou à éviter la transmission d’une maladie grave. En quelque sorte, l’AMP constitue une démission du politique en faveur de l’expertise clinique. À cette raison médicale s’ajoute la promotion d’un type d’agencement familial: le couple hétérosexuel en âge de procréer… La législation sur l’AMP est ainsi légitimée par cette conception d’une parenté «naturelle», fondée sur l’idée que l’intérêt du futur enfant implique le droit d’avoir une mère et un père et des liens biologiques avec les personnes remplissant cette fonction sociale. Ces valeurs, décrites comme universelles, sont à l’origine de l’inclusion de l’AMP parmi les services fournis par la sécurité sociale.
 
L’enjeu aujourd’hui ce n’est pas seulement d’ouvrir l’AMP aux couples de lesbiennes au nom du principe d’égalité (même si cela constituerait déjà une avancée capitale) mais aussi et surtout de penser cette forme d’engendrement en dehors d’une justification thérapeutique et de l’impératif hétéroparental. La future «loi famille» devrait d’abord déconstruire l’architecture médicale de l’AMP pour permettre, par la suite, la mise en place d’un véritable droit à la procréation pour tous. La filiation ne peut pas dépendre de la capacité biologique à engendrer mais du projet parental responsable. Non, la filiation n’est pas naturelle et ce n’est pas en le répétant dans les manifestations publiques qu’elle le deviendra!