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 d’ADHEOS

"Casser du pédé", un phénomène qui est en recrudescence. Comment cibler les agresseurs et sortir les victimes de l’ombre?
 
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître en 2012, ici en Belgique, un jeune trentenaire a été battu à mort uniquement en raison de son homosexualité. Le 22 avril dernier, Ihsane Jarfi est sorti d’un établissement gay du centre de Liège avant de monter dans la voiture de ses quatre meurtriers présumés. Ceux-ci auraient abandonné son corps sans vie dans un champ à Villers-le-Temple, près de Nandrin, après s’être peut-être livré à un gay bashing. Né aux États-Unis, ce terme désigne le passage à tabac prémédité d’homosexuels. Un acte crapuleux et gratuit commis par des bandes déterminées à "casser du pédé".
 
Même si le gay bashing ne débouche que très rarement sur la mort – le cas d’Ihsane Jarfi est d’ailleurs une première judiciaire belge -, la violence verbale et physique envers les homosexuels semble en recrudescence ces derniers temps. À tel point que la communauté gay, bi et lesbienne a plongé dans la peur. "Nous vivons un retour en arrière, une période noire", estime Marc, lui-même victime à deux reprises d’agresseurs homophobes. "Beaucoup d’hétéros ne se rendent pas compte à quel point c’est grave", lance Björn Pius qui, conjointement avec d’autres gays en colère, a lancé le mouvement citoyen Outrage! en juin 2011, suite au gay bashing de trop dans le centre de Bruxelles. "On en est arrivé à un tel point qu’il faut changer la situation."
 
Seulement le sommet de l’iceberg
 
C’est dans cette optique qu’Outrage! a créé Bashing, une application pour iPhone permettant aux victimes de signaler précisément où, quand et comment ils ont été l’objet d’agressions verbales ou physiques à caractère homophobe. En cinq mois à peine, 130 rapports d’incidents sont venus s’incruster sur la carte de Bruxelles du logiciel pour smartphones. "Mais soyons clair, Bashing sert à ouvrir les yeux du grand public sur cette violence intolérable. Notre application n’a pas de vertu statistique." Les vrais chiffres des délits homophobes, on les trouve auprès de la police, des parquets et du Centre pour l’égalité des chances, organisme officiel de lutte contre les discriminations.
 
Les autorités policières et judicaires ont enregistré 34 faits en 2008, 56 en 2009 et 45 au premier trimestre 2010. "Les signalements auprès du Centre pour l’égalité des chances sont plus réduits: une dizaine de cas 2011, rapporte Edouard Delruelle, directeur adjoint. Mais nous savons que ces chiffres ne représentent hélas que le sommet de l’iceberg. En réalité, il y a peut-être dix à vingt fois plus de faits de violence homophobe." La plupart des victimes s’abstiendraient de déposer plainte pour plusieurs raisons: "La peur persistante, la volonté de tourner la page, la honte et l’obligation de faire son coming out devant des agents de police. C’est dur – d’autant plus quand on est fragilisé par une agression – de dévoiler son intimité à des fonctionnaires".
 
Sans compter que de nombreuses plaintes seraient classées verticalement, car la plupart des faits ne seraient pas jugés assez graves. "Je n’avais vraiment pas envie d’aller chez les flics. Et puis, je me suis déjà tellement plaint auprès d’eux sans qu’il y ait eu de suites", a réagi Didier, après avoir été expulsé sans ménagement d’un taxi par son chauffeur homophobe qui l’a aussi roué de coups de pied. Didier a préféré déposer plainte auprès de la compagnie de taxis et de la Région bruxelloise plutôt qu’à la police.
 
Flics arc-en-ciel
 
Peut-être Didier aurait-il poussé la porte du commissariat s’il avait eu la certitude d’être accueilli par un agent des plus compréhensif. C’est exactement ce que cherche à obtenir Rainbow Cops Belgium, toute nouvelle association des policiers gay du royaume. "L’une de nos missions est de sensibiliser davantage nos collègues à la thématique LGBT (lesbienne-gay-bi-trans),explique Yannick Lecomte, vice-président. Ne nous voilons pas la face: la police est le reflet de la société et certains agents sont, si pas homophobes, très mal à l’aise face à une personne ayant une autre orientation sexuelle que la leur. Faire tomber les préjugés permet au policier d’accueillir ces victimes-là de la même manière que les autres."
 
Main dans la main avec le Centre pour l’égalité des chances et la Région bruxelloise, la Ville de Bruxelles a ainsi initié des formations spécifiques pour ses policiers. En parallèle, le Centre a lancé une campagne – www.signale-le.be – pour inciter les victimes à se manifester. "Même s’il y a un problème de preuves et qu’on ne retrouve pas toujours les auteurs, nous avons besoin de signalements et de témoignages pour mieux cerner le phénomène du gay bashing, insiste Edouard Delruelle. Et établir si, derrière ces agressions, se cache réellement un phénomène social et culturel."
 
On touche là à un aspect très sensible du débat. Mais Marc, lui, ne s’embarrasse pas du politiquement correct: "Selon moi, c’est clair que, lorsqu’il y a un problème, c’est lié soit à des Nord-Africains, soit à des ressortissants des pays de l’Est. Ces gens sont venus ici avec leur propre culture, laquelle n’admet pas l’homosexualité". Marc assure parler en connaissance de cause: il y a quatre ans, il s’est fait fracasser le nez dans un tram "par un gars de l’Est". Et il y a quinze ans, il s’est retrouvé à l’hôpital avec la mâchoire en bouillie après avoir été passé à tabac en rue "par une bande de jeunes Marocains clairement homophobes".
 
Dieudonné, cet homophobe
 
"Tous les jeunes Nord-Africains ne sont pas homophobes et adeptes du gay bashing, rappelle le Centre pour l’égalité des chances. Mais il ne faut pas nier que ce phénomène existe et que l’homophobie des jeunes allochtones augmente." À en croire Edouard Delruelle, ce climat d’intolérance qui régnerait au sein d’une partie de la communauté arabo-musulmane serait attisé par des médias en ligne des plus sectaires. Mais aussi par une vieille connaissance: Dieudonné. "Nous allons très probablement intenter un procès à l’encontre de cet "humoriste", suite à un spectacle qu’il a donné à Herstal. Nous avons découvert avec étonnement que son show était non seulement antisémite mais aussi très homophobe. Il a eu lieu devant des jeunes qui riaient. Ce discours extrêmement violent rencontre donc un préjugé et l’alimente."
 
Du côté des associations LGBT, on se montre plus frileux à associer gay bashing et jeunesse arabo-musulmane. "L’homophobie touche peut-être davantage certaines communautés mais les agresseurs n’ont pas de profil bien net, estime ainsi François Massoz-Fouillien, porte-parole de la Rainbow House. Il faut faire attention aux préjugés. Je vous donne un exemple: il y a six mois s’est produite une agression dans un café gay friendly du centre de Bruxelles. Tout de suite, ont fusé des commentaires racistes sur les réseaux sociaux. Or, il s’est avéré que les auteurs étaient de "bons Belges"."
 
Comme des vautours
 
Marc, lui aussi, a été la cible de deux Belgo-Belges homophobes. C’était il y a tout juste un an, au moment de la Pride Week à laquelle il participait. "Manifestement sous influence de stupéfiants, ils m’ont insulté, bousculé et menacé en mimant un égorgement." Depuis, Marc se dit "moins insouciant" et même davantage conscient d’être "une cible potentielle". Et le quadragénaire de détailler une autre réalité du gay bashing: "Aux abords des bars gay, traînent des jeunes, dans l’attente d’une pauvre âme alcoolisée pour pouvoir la dépouiller au coin de la rue. Comme des vautours qui attendent leur proie. Ils ne sont pas vraiment homophobes mais franchement à l’affût d’argent facile". Cette explication tient d’autant mieux la route que, dans la capitale, les seuls bars ouverts très tard sont les établissements gay.
 
Quoi qu’il en soit, ces attaques ciblées doivent être combattues. Et pour cela, estime Edouard Delruelle, "il faut agir à la fois sur les plans répressif, préventif et pédagogique. La justice, avec le concours du Centre pour l’égalité des chances, doit poursuivre ces faits. La police doit sécuriser les lieux où se rencontrent les homosexuels. Et un travail de fond doit être entamé avec les jeunes, les écoles et les associations culturelles". Björn Pius, lui, pense qu’il faut davantage confronter la population à la diversité pour que les faits d’agression diminuent. Avec, pourquoi pas, des affiches comme celles qui ont fleuri à Berlin en 2009. Elles montrent deux garçons et deux filles s’embrassant sur la bouche avec un slogan en allemand, en arabe et en turc: "L’amour mérite le respect". Tout est dit.