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 d’ADHEOS

Les élèves de Sophie sont quotidiennement confrontés à la violence, au harcèlement et au racket. Une réalité difficile à détecter et à traiter.
Christopher (1) s’est levé, a foncé droit sur Kelly, l’a frappée, puis a quitté la classe." La pause des vacances de Noël n’a pas suffi à estomper le souvenir que Sophie a gardé de cette agression en règle au sein même de sa classe, sans qu’aucun signe avant-coureur laisse présager une telle fureur. Certes, en cette fin de premier trimestre, tout le monde était à cran et épuisé. Mais la violence constatée ce jour-là en plein cours a estomaqué la jeune prof, qui a pris depuis la véritable mesure du harcèlement dont son élève de cinquième était la victime. De petites réflexions désagréables en moqueries vachardes, Kelly est depuis des années la cible préférée de ses camarades, qui l’ont sans doute choisie parce qu’elle "est particulièrement indolente", note Sophie. Christopher s’est vu infliger trois jours d’exclusion (qui se sont ajoutés à trois autres obtenus pour avoir racketté régulièrement une élève de sixième). Mais Kelly a continué à être le bouc émissaire de la classe.
 
"Fils de gay"
 
Le conseiller principal d’éducation (CPE) est alors intervenu : hasard du calendrier, une campagne lancée par le ministère commençait justement pour mettre en garde les adolescents contre les risques du harcèlement. "Ils semblent avoir bien compris que le simple fait d’assister passivement à cet acharnement les rendait complices, et même coupables. Et que dans le cas extrême d’un suicide par exemple, il serait trop tard pour revenir sur leur bêtise, qu’il fallait agir dès maintenant", se rassure Sophie. De fait, seul un petit groupe continue de se moquer de Kelly, la grande majorité de la classe s’étant désormais ralliée à la jeune fille.
 
Kelly n’est pas la seule à subir un harcèlement quotidien dans ce collège. Dans une autre classe de cinquième, c’est un garçon, Rachid, qui cette fois s’en est plaint auprès de son enseignante : "Les autres me traitent, ils disent que mon père, c’est un gay. Ils me répètent sans cesse Fils de gay, fils de gay." L’enseignante a finalement donné deux punitions à chacun des adolescents harceleurs, mais quand l’un d’eux n’a pas voulu lui donner son carnet, Sophie s’est énervée. "Ah, vous m’excluez du cours ?" a rétorqué le jeune insolent. "Tant mieux, cela me fera des vacances de ne pas vous voir !" À nouvel incident, nouveau rapport.
 
"Je suis macho, et j’assume"
 
En quatrième, même combat : plusieurs filles sont régulièrement insultées, traitées de "sales putes". Là encore, les élèves ont eu le bon réflexe et s’en sont plaintes par écrit pour que le sujet soit abordé en "vie de classe", une heure dédiée à la parole pour évoquer toutes les difficultés rencontrées dans le collège. Une "thérapie de groupe", comme aime à l’appeler Sophie. Et lorsque le sujet a été abordé, le principal garçon incriminé ne s’est pas démonté : "Je suis macho, et j’assume." Sur la table du jeune homme, Sophie a découvert des tags caricaturant les filles de la classe et les insultant nommément. "J’ai appelé les parents de deux des principaux acteurs de ce harcèlement de filles."
 
La mère du premier, Ryan – que Sophie surnomme volontiers "l’hypocrite" -, a joué franc jeu avec l’enseignante, lui dressant un tableau atrocement sombre de la vie du jeune homme, tout seul depuis le décès de son père, habitant avec une mère à la santé fragile qui travaille du petit matin jusqu’après minuit. Une situation économique plus que précaire, aggravée par un cambriolage le week-end précédent, qui a dépossédé la veuve et son fils de tout l’électroménager et des quelques souvenirs du défunt. Sophie ne savait plus quoi dire, saisie par un malaise d’autant plus important que la mère a éclaté en sanglots en lui demandant de l’aide. Désemparée et démunie devant une telle situation, la jeune prof a contacté l’assistante sociale.
 
Visage tuméfié
 
Pour le second fauteur de troubles, l’affaire s’est révélée nettement plus corsée. Un quart d’heure à peine après que Sophie a laissé un message sur le répondeur de la mère de Kyllian, le CPE a accompagné dans la classe de Sophie le garçon… qui avait le visage tuméfié. "Je me suis souvenue que la mère de Kyllian avait évoqué, lors de la dernière réunion parents-prof, qu’au moindre problème elle appellerait le grand frère du jeune homme, qu’il craint comme la peste. Mais je ne pouvais pas imaginer une telle violence."
 
En tentant de reconstituer le fil des événements, l’enseignante et le CPE ont ainsi compris qu’à la suite du coup de fil de Sophie, le grand frère avait débarqué fou de rage au collège en demandant à voir son cadet au parloir. Une rencontre qui s’est faite sans témoin, et durant laquelle le jeune a dû encaisser des coups. "On n’a pas pu faire de signalement, nous n’avons aucune preuve de ce que nous avançons. Nous sommes totalement impuissants", déplore l’enseignante, catastrophée. Pendant tout le cours, Sophie, rongée par la culpabilité, n’a pu quitter des yeux son élève, se répétant sans cesse : "Mais qu’ai-je fait ! Qu’ai-je fait !" "J’avais l’impression d’être prise sous le feu d’une tempête : j’avais le sentiment d’avoir fait exactement ce que je devais faire tout en ayant conscience que mon geste était le stimulus de l’effet que j’avais sous les yeux…" Retour chez l’assistante sociale. Deux fois en une journée.
 
Le monde à l’envers ?
 
Car Sophie en est convaincue : pour qu’ils cessent, la violence, le racket et le harcèlement ne peuvent souffrir aucun traitement de faveur. Surtout lorsqu’ils sont quotidiens, comme c’est le cas dans ce collège. Il y a ainsi cet élève, Bayron, qui a déjà écopé de 25 jours d’exclusion pendant le seul premier trimestre. Ce garçon de quatrième qui se lève en plein cours en faisant mine d’aller jeter un papier dans la poubelle et frappe un autre élève, avant de continuer son chemin, sans que le jeune agressé bouge d’un millimètre, allant presque jusqu’à nier les faits pourtant constatés par l’enseignante elle-même. Ou ces deux "minuscules" sixièmes qui terrorisent et rackettent un "camarade" de troisième. Le monde à l’envers ? Plus vraiment : dans ce collège, nul ne semble réellement connaître l’ordre des choses.