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 d’ADHEOS

Chargé des programmes au sein d’une ONG, ce militant gay risque à tout moment jusqu’à 14 ans de prison dans son pays. Témoignage.
 
John Adeniyi, 27 ans, assume publiquement son homosexualité dans son pays, le Nigeria, où la répression des relations entre les personnes de même sexe s‘est encore aggravée cette année. En effet, le président Goodluck Jonathan a, en janvier 2014, signé une loi qui punit de peines allant jusqu’à 14 ans de prison les couples de personnes de même sexe qui entretiennent une relation, et/ou se marient. Mais le militant nigérian, originaire de Lagos, ne baisse pas les bras.
 
Chargé des programmes au sein d’une ONG établie à Abuja, la capitale fédérale, The International Center for Advocacy on Rights and Health (ICARH), cet étudiant en géographie a choisi de rester dans son pays pour se battre pour ses droits, malgré la pression, le harcèlement, les menaces de mort ou les agressions. Militant des droits humains, John Adeniyi fournit, avec son organisation, une assistance légale aux LGBTI victimes de violences et gère en partie un dispensaire qui vient en aide aux personnes atteintes du VIH/sida (accueil, accompagnement, prévention, dépistage, etc). Des missions bien souvent entravées par les autorités, expliquera-t-il, tout un long d’un entretien qu’il nous a accordé pour son passage en France afin de rencontrer des militant.e.s LGBTIQ français en amont de la Marche des fiertés du 28 juin dernier. Voici son témoignage, entre espoir et colère.
 
«VIVRE EN TANT QUE GAY N’EST PAS FACILE»
«Au Nigéria, vivre en tant que gay n’est pas facile, mais on peut y arriver. C’est important de le dire. Cela fait cinq ans que je vis à Abuja, après avoir dû quitter Lagos, et j’ai commencé à travailler au sein de son ONG en 2011. Je suis ouvertement gay, et cela peut être difficile dans le sens où on a toujours peur d’être isolé. Il y a deux choses qui arrivent aux gays nigérians. D’abord, on commence par se demander ce que va penser notre plus proche voisin : que va-t-il penser de moi s’il découvre mon homosexualité ? Que va-t-il se passer si mon copain vient à la maison ? Va-t-il se moquer de moi ? C’est un sentiment presque normal pour les gays et les lesbiennes. On se demande toujours ce qui va se passer si notre orientation sexuelle est dévoilée au grand jour. Et puis, tu ne veux pas perdre tes ami.e.s et tes soutiens. Tu te demandes aussi ce qui va changer si ton/ta meilleur.e ami.e découvre que tu es homo : Vais-je le/la perdre ? Cela prend beaucoup de temps et de volonté pour faire changer les institutions, les mentalités et les discours.
 
«JE N’AI PAS VRAIMENT DE VIE SOCIALE»
Ma famille est au courant de mon orientation sexuelle et de qui je suis, mais j’essaye de ne pas leur rabâcher que je suis gay. Des dizaines de personnes me questionnent sans cesse sur mon homosexualité, mais je leur réponds qu’elles me doivent le même respect que celui que je leur accorde. On se doit de demander ce respect-là. Quand on est ouvertement gay, qui plus est militant, il faut être prudent et éviter certains comportements. Je n’ai pas vraiment de vie sociale, je suis toujours en train de travailler ou je suis toujours occupé. La plupart du temps, je me retrouve au commissariat de police pour essayer de négocier la liberté de quelqu’un qui a été arrêté ou à une audience lors des rendus de jugements. En réalité, j’ai déjà été frappé par des agents de police… Pas assez apparemment [ndlr, sourire ironique]. J’ai été frappé le 6 janvier dernier, la nuit juste avant que le président ne signe la loi «anti-homosexualité». J’étais au commissariat pour faire de la médiation auprès de personnes arrêtées sur de simples soupçons d’homosexualité. Cela prenait beaucoup de temps et je suis alors revenu avec de la nourriture pour elles. Au retour, le policier m’a interdit de les nourrir car il était déjà 20 heures. Je lui ai répondu qu’un estomac ne voit pas la différence et qu’ils avaient ce droit-là, et je me suis fait agressé par les policiers présents autour de moi. On m’a demandé pour quelle organisation je travaillais, quelle était ma mission, etc. Bref, on est toujours préoccupé par ce qui peut nous arriver, même les jours où il cela n’a pas lieu d’être. C’est un réflexe commandé par ton instinct naturel. Et puis, on a tellement peur de perdre le peu de ressources économiques que l’on possède.
 
«LE GOUVERNEMENT DEVRAIT S’OCCUPER DES QUESTIONS ÉCONOMIQUES»
Depuis que la loi qui criminalise les relations homosexuelles a été mise en place, et même pendant son vote à l’assemblée en 2013, les tensions ont fortement augmenté envers les personnes LGBT. Avant cette loi, le centre où je travaille fournissait des services de prévention et de dépistage du VIH, on donnait des préservatifs et du lubrifiant, on enseignait aux gens les droits humains et on organisait des événements pour la communauté. En fait, il faut une stratégie pour pouvoir mobiliser les personnes LGBT et leur donner un accès à ces types services. Même avant que la loi ne soit votée, des personnes ne venaient pas à notre centre parce que tous les gens qui y entrent pensent qu’ils sont catégorisés comme gays. Mais depuis que la loi est passée, on a suspendu l’aide sociale et les programmes de soin car on doit être très prudents. C’est la première fois, à ma connaissance, qu’une loi criminalise une association au Nigeria. Même l’organisation Boko Haram [ndlr, un groupe djihadiste nigérian] n’a pas été officiellement déclarée criminelle alors qu’on sait que les groupes rebelles ne sont pas légaux. Au lieu de prendre pour cible sans raison les personnes LGBT, le gouvernement nigérian devrait s’occuper des questions économiques ou de rébellion. Je n’ai pas vu les mêmes efforts investis dans la lutte contre la rébellion. On ne peut même pas aller à l’église librement à cause des attentats.
 
«LA PRÉVALENCE DU VIH A AUGMENTÉ CHEZ LES GAYS NIGÉRIANS»
Depuis que la loi a été votée, le nombre de personnes qui viennent pour recevoir un traitement ou des informations de prévention sur le VIH a fortement diminué. Le grand public doit comprendre que si on cible une petite partie de la population, comme les gays et les personnes trans’, c’est aussi pour contribuer à la diminution du taux de prévalence [nldr: proportion de personnes touchées par le VIH] au niveau national. Or, depuis quelques années, on observe que la prévalence du VIH a augmenté chez les gays nigérians. Tous les gays n’ont pas le VIH, mais une étude IBBSS conduite entre 2007 et 2010 par la comité national sur la santé du ministère fédéral de la Santé, dans laquelle notre association s’est fortement impliquée, et pour laquelle on a réussi à mobiliser les gens pour faire des tests, montre qu’on est maintenant capable de pouvoir mesurer et d’évaluer la prévalence au VIH. C’était une initiative progressiste. Elle devrait être reconduite pour 2014, mais on ne sait toujours pas. Dans cette étude, on observe qu’entre 2007 et 2014, la prévalence du VIH a augmenté de 14 % chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. Le taux global de prévalence, lui, est passé de 4,8% à 4,1% dans la même période. La question que les gens ne se posent pas est: pourquoi pour ces populations le taux de prévalence augmente alors qu’il décline pour le reste de la population. Or, les populations les plus vulnérables doivent recevoir la plus grande attention et le gouvernement ne donne pas la priorité au traitement et à la prévention des personnes les plus affectées par le virus. Si on ne le fait pas, qui le fera pour nous ? C’est de la responsabilité du pays de prendre en charge ces citoyens et de faire en sorte que tout va bien.
 
«L’AFRIQUE EST AUJOURD’HUI LE CONTINENT LE PLUS HOMOPHOBE»
L’Afrique est, aujourd’hui, le continent le plus homophobe. Quand on regarde à quel moment de telles lois contre les gays et lesbiennes ont pu être votées, on observe que ce sont en général des périodes d’élection ou de nomination à des postes importants, etc. Ces lois sont des outils politiques très utiles pour ceux qui ne soucient pas vraiment du bien être de leur concitoyens. Ironie du sort, cela affecte leur famille et leurs enfants. De manière générale, les gens sont fatigués de l’échec des gouvernements africains depuis des années et les gouvernements se rendent compte qu’il faut mettre en place de telles lois pour que la population soit satisfaite, sans aucun coût politique. Mais les gens oublient que ces gens-là ne sont intéressés que par leur réélection.
 
Au moment de voter la loi, personne ne demandait l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe. Personne. Mais les responsables politiques ont décidé de mettre avant cette loi car c’est un formidable instrument politique. Au Nigeria, et au sein de l’Union africaine, criminaliser les minorités sexuelles est devenu la règle. Le Nigeria a adopté cette loi dans un objectif défensif, parce que les dirigeants ne veulent pas que l’Occident vienne leur dire comment diriger un pays, comment protéger les droits de leurs concitoyens, que personne ne doit être tué en raison de l’orientation sexuelle, etc. Ils ont décidé de mettre l’homosexualité hors-la-loi pour que ce ne soit plus un sujet de discussion. Pourtant depuis que la loi est passée, des gens ont été battus, agressés, j’ai été victime d’une agression. Et les victimes de ces attaques sont transférés, menottés, au poste de police où on les frappe encore, en prétendant les protéger.
 
«JE NE VEUX PAS PERDRE ESPOIR»
Cela demande une grande force politique de vouloir faire les choses autrement, à l’inverse de ce qui a été fait auparavant. Mais les personnes LGBT, au Nigéria, ne doivent pas perdre espoir : le ciel paraît nuageux, mais il y a surement de la lumière quelque part. Ils doivent d’abord réaliser qui ils sont, et prendre le meilleur d’eux-mêmes. Je ne m’attends pas à ce que ces lois changent du jour au lendemain. Certains pays ont des lois progressistes, cela n’arrive pas par magie. Pour ma part, je défends un idéal en tant que militant des droits humains donc je ne peux pas perdre espoir».