Jean Le Bitoux, l’une des figures du mouvement homosexuel français, est mort, mercredi 21 avril, à l’âge de 61 ans.
Né en 1948, à Bordeaux, le "petit-bourgeois, pianiste et fils d’officier" qu’il était dans sa jeunesse rompt vite avec un milieu familial qui refuse son homosexualité. Dans l’effervescence des années 1970, il rejoint les milieux maoïstes, où il rencontre une "forte homophobie". "Si le mouvement révolutionnaire a du mal à vous accepter, vous n’avez qu’à être plus révolutionnaire que les révolutionnaires", lui recommande Simone de Beauvoir. Jean Le Bitoux n’a guère besoin de ce conseil : il milite déjà dans les milieux radicaux gays. Au début des années 1970, il crée, à Nice, un groupe du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), qui s’est donné pour mission de "faire la guerre aux normaux et l’amour entre nous". Aux élections législatives de 1978, il se présente comme "candidat homosexuel" aux côtés de Guy Hocquenghem. Tous deux revendiquent l’abrogation de l’article 331 du code pénal, une disposition héritée du régime de Vichy qui punit de prison les "actes impudiques ou contre nature avec un individu de son sexe mineur de vingt et un ans". Il faudra attendre 1981 pour que ce texte soit abrogé par le garde des sceaux, Robert Badinter.
En 1979, Jean Le Bitoux fonde le magazine Gai Pied, la première publication gay vendue à grande échelle en kiosque. "Depuis sa mort, je ne cesse de recevoir des coups de téléphone d’homosexuels de 50, 60, 70 ans qui me disent que ce magazine a été pour eux une véritable bouffée d’oxygène, raconte aujourd’hui Hussein Bourgi, qui a succédé à Jean Le Bitoux à la tête du Mémorial de la déportation homosexuelle. A l’époque, c’était le seul moyen de se procurer des informations sur l’homosexualité en France et dans le monde."
Gai Pied fait appel à des intellectuels – il publie un texte sur le suicide de Michel Foucault et un entretien avec Jean-Paul Sartre -, réalise des enquêtes sur le monde gay, propose des critiques culturelles, offre un espace de petites annonces et de courrier à une communauté encore très stigmatisée. En 1982, les ventes mensuelles s’élèvent, selon Jean Le Bitoux, à 30 000 exemplaires.
La crise ne tarde cependant pas à arriver : en 1983, alors que les boîtes de nuit et les saunas gays se multiplient, Jean Le Bitoux, suivi par une partie de l’équipe, rompt avec le magazine en dénonçant ses dérives commerciales et publicitaires. "Le Gai Pied était tombé dans le guêpier du consumérisme, de la désinformation et du parisianisme, expliquait-il. L’unique hebdomadaire homosexuel au monde des années 1980 et 1990 est mort pour avoir abandonné son projet social."
Dans les années 1980, alors que le sida commence à faire des ravages, Jean Le Bitoux, qui est séropositif, s’engage au sein de l’association Aides et participe à l’organisation de la Marche des fiertés. Avec cette manifestation, Jean Le Bitoux veut mettre fin à "la culture de l’esquive". "Nous avons marché au milieu de la rue après avoir tant rasé les murs", écrivait-il en 2003 dans son autobiographie, Citoyen de seconde zone (Hachette Littérature).
Son dernier combat a été pour les déportés de la seconde guerre mondiale. En 1989, il fonde le Mémorial de la déportation homosexuelle avant de publier deux ouvrages : le témoignage de Pierre Seel, déporté en 1941 au camp de Schirmeck (Calmann-Lévy, 1994) et Les Oubliés de la mémoire (Hachette Littérature, 2002). Un travail qui a conduit le président Jacques Chirac, en 2005, à évoquer explicitement la persécution des homosexuels lors de la Journée du souvenir de la déportation.
- Source Le Monde et MDH