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 d’ADHEOS

Son association aide les gays tchétchènes persécutés à fuir leur pays. Ivan Kochetkov, du Réseau Russe LGBT, était de passage à Paris. 
 
En fin de semaine dernière, l’Inter-LGBT a convié Ivan Kocketkov, président du Réseau LGBT Russe à rencontrer la presse à l’Hôtel de ville de Paris .
 
Avant même de commencer la conférence de presse, un responsable de l’Inter-LGBT demande aux journalistes de ne pas tweeter sur l’événement en direct et au moins 1h30 après la fin de celui-ci. Il s’agit de préserver la sécurité d’Ivan Kochetkov.
 
Le militant n’y va pas par quatre chemins: «Toutes les personnes qui ont enlevé, détenu ou torturé des victimes en Tchétchénie sont toujours à leur place, à leur fonction. Ils continuent à jouir de l’impunité la plus totale.» C’est le journal Novaïa Gazeta qui a révélé en avril dernier le début de la persécution des gays dans cette république de la Fédération de Russie (Lire Tchétchénie: Les autorités auraient lancé une « rafle préventive » visant les gays).
 
Ivan Kochetkov n’hésite pas à employer des mots forts pour qualifier la situation: «Si vous lisez la définition de Crime contre l’humanité, telle qu’elle est définie par la Cour Pénale internationale, on y parle d’actions organisées par des autorités de façon systématique et massive visant un groupe de population en particulier uniquement pour ce qu’ils sont. Ce qui se passe en Tchétchénie correspond parfaitement à cette description.»
 
De masse? «Nous sommes sûrs de l’existence de six lieux de détention arbitraire et accommodé pour ça, explique le militant. Pour l’un de ces lieux, nous avons la preuve qu’il y au moins 200 personnes détenues au même moment. Donc on parle de centaines de personnes.»
 
Son association suit une soixantaine de personnes. Il y a trois catégories, détaille-t-il: "des détenus, torturés dans les centres de la police, des personnes averties que leur nom sont connus des tortionnaires et qui ont eu le temps de s’enfuir, et membres de la famille qui craignent des représailles."
 
LES PERSECUTIONS S’INTENSIFIENT
Et cela ne va pas en s’améliorant. Selon Ivan Kochetkov, «Ces derniers mois, il y avait une ou deux personnes à exfiltrer par semaine à cause des risques qui pesaient sur eux. C’est en train d’augmenter car avec la fin du Ramadan, les persécutions se sont intensifiées.»
 
Si Vladimir a annoncé une enquête pour vérifier ce qui se passe en Tchétchénie, le militant russe y voit un écran de fumée. «Depuis le début nous avons transmis à l’Etat une liste de trois puis de six personnes qui ont été assassinées en raison de leur orientation sexuelle, indique-t-il. Aucune enquête n’a été lancée. Les autorités russes clament qu’elles ont lancé une vérification. Le problème c’est que selon la législation russe cette vérification peut mener vers une enquête criminelle, mais seulement dans la limite de délais de prescription. Et ces délais sont dépassés depuis longtemps.»
 
«La déléguée des Droits de l’homme en Russie, Tatiana Moskalkova, a déclaré à plusieurs reprises qu’elle est prête à donner une protection à tous les témoins et victimes, mais personne ne s’adresse à elle, ajoute Ivan. C’est un mensonge, elle n’a pas ce pouvoir là.» Ironie du sort, ce serait les policiers tchétchènes qui seraient chargés de la protection des personnes…
 
Conclusion: «la seule façon de protéger ces personnes qui ont déjà beaucoup souffert c’est l’exflitration de Russie.»
 
Et la seule façon de parvenir à des résultats sur place, c’est la mobilisation internationale: «La question centrale, c’est comment la communauté internationale peut contrôler l’avancée de l’enquête sur les crimes commis, quel sera le niveau d’impunité dont jouiront les criminels, dit Ivan Kochetkov En l’absence de mécanismes d’enquête internationale, étant donné que la Russie n’a pas les traités internationaux qui permettraient ce genre de choses, la mobilisation internationale est la seule façon d’influencer l’enquête. L’absence de sanction et l’impunité conduisent à de nouveaux crimes, cela a toujours été comme ça.»
 
Lorsqu’il a reçu Vladimir Poutine à Versailles, Emmanuel Macron a déclaré que la France suivrait désormais la situation de près. «Je ne sais pas si ça sera efficace, commente le militant russe. Mais tout homme honnête ne pouvait pas dans un pays libre ne pas poser cette question.»
 
PROCÉDURES ACCÉLÉRÉES
La France refuse de communiquer sur le nombre de Tchétchènes accueillis, par mesure de sécurité. François Croquette, ambassadeur des Droits de l’Homme au ministère des Affaires Etrangères, indique que les "procédures sont accélérées". Arnaud Gauthier-Fawas pointe du doigt un problème – récurrent chez les demandeurs d’asile -, qui est celui de la traduction. "On sait que les traducteurs traduisent parfois ce qu’ils veulent et non ce qu’ils entendent". D’autant que la France n’est pas un pays idéal pour les réfugiés tchétchènes, du fait de l’importante diaspora qui y réside. Pour autant, "si tous les pays européens en faisaient autant que la France, le problème d’accueil des réfugiés tchétchènes serait résolu", estime Ivan Kochetkov.
 
Sacha Koulaeva, de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, complète ce témoignage en précisant qu’il n’y a rien de vraiment nouveau sous le soleil tchétchène: «La crise ne fait que souligner la situation de cette république depuis 20 ans. On est habitués à une situation arbitraire. Cette crise rappelle que rien n’a changé. Ce qu’on a appelé les "camps de concentration" sont les mêmes depuis 20 ans. Toutes les voix critiques du régime s’y retrouvent par vagues.»
 
En ciblant plus spécifiquement les gays, le régime de Kadyrov a fait réagir dans le monde entier. Mais Sacha Koulaeva rappelle qu’ils ne sont pas la seule cible du régime et de la société tchétchène: "les femmes sont en permanences victimes de "crimes d’honneur"".
 
Et la république du Caucase est loin d’être la seule à connaître ce type de problème: «En Europe de l’Est, le nombre de zones plongeant dans ce type de violence est en augmentation. Le Donbass [région d’Ukraine en crise actuellement] est aussi en train de devenir une zone de non droit.», rappelle la militante.
 
Après avoir répondu aux questions des journalistes, Ivan Kochetkov a rencontré un peu plus tard des militant.e.s français.es au Centre LGBT de Paris.