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 d’ADHEOS

En décernant un prix à Irène Théry, SOS Homophobie fait mine d’oublier que cette sociologue s’est longtemps opposée aux droits des homosexuel-le-s.
 
L’écriture de l’histoire est une lutte permanente. Ce qu’on appelle, à un moment donné, l’histoire – voire l’Histoire – est écrite par les dominant-e-s, celles et ceux qui ont les moyens d’imposer leur version des choses. C’est pour cela que les minoritaires n’ont de cesse de faire exister d’autres récits historiques et, selon les formules du philosophe Walter Benjamin, de «brosser l’histoire à rebrousse-poil» et de rendre compte de «la tradition des opprimés» telle que l’histoire des minorités sexuelles, de la traite négrière, de la colonisation, etc.
 
Ces problèmes ne semblent pas intéresser SOS Homophobie, qui préfère même contribuer aux falsifications de l’histoire. L’association vient en effet de décerner un prix à Irène Théry. Cette sociologue s’est fait connaître par son opposition au Contrat d’union sociale, l’ancêtre du Pacs. En 1997, Irène Théry justifiait qu’un couple homosexuel ne puisse se marier en décrivant le mariage comme «l’institution qui inscrit la différence des sexes dans l’ordre symbolique en liant couple et filiation». Elle pouvait parler de «camionneuses» et de «folles tordues». Elle n’hésitait pas à dénoncer la «conception bouchère de la filiation» prétendument défendue par les mouvements gays et lesbiens, ou la «régression biologisante» que constituaient les revendications du mariage et de l’adoption. Avant de se poser, quinze ans plus tard, comme la figure de proue du progressisme, soutenant le mariage homosexuel et les transformations des structures de la filiation.
 
Édifiant exemple d’une entreprise individuelle qui a très bien réussi : en maquillant son propre passé et en se proclamant à l’avant-garde, l’arrière-garde récolte de nombreux bénéfices. Mais c’est aussi une histoire collective : si cette reconversion est possible et récompensée, c’est qu’un ensemble de personnes se sont elles aussi converties et ont peu intérêt à rappeler à Irène Théry ses positions passées, qu’elles partageaient à l’époque. C’est notamment le cas du Parti socialiste et d’associations qui lui sont proches. Il faut relire Amours égales ? de Daniel Borrillo et Pierre Lascoumes (2002) ou Sur cet instant fragile de Didier Eribon (2004) pour rappeler l’hostilité de la gauche gouvernementale envers celles et ceux qui se battaient pour le Pacs, puis pour le mariage homosexuel et le droit à l’adoption. Ce sont ces militant-e-s, ces intellectuel-le-s, ces juristes qui mériteraient d’être récompensé-e-s. Et c’est précisément en raison de leurs actions que Théry ou le PS n’ont pas eu d’autres choix que de revoir leurs positions. Quand Lionel Jospin, en 2012, s’opposait au mariage gay, il ne faisait que rappeler ce qui avait été, pendant si longtemps, la ligne de son parti.
 
Cela a changé. Tant mieux. Mais n’oublions pas à qui on le doit, et qui, au contraire, a tout fait pour s’y opposer. Et rappelons que les changements ont été bien timides : la PMA est enterrée, le débat sur la GPA est inexistant, les droits des trans attendront. Et on se demande qui SOS Homophobie récompensera dans dix ans. Frigide Barjot ? Ludovine de la Rochère ? Tugdual Derville ?