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 d’ADHEOS

Pour la sortie en France du film I AM (Je suis) en DVD, le réalisateur indien Onir était de passage à Paris. Pour Courrier International, il évoque ses sujets de prédilection, de l’exil à l’homosexualité. A rebours des règles du cinéma de Bollywood, Onir défend un cinéma indien iconoclaste et indépendant. 
 
I AM raconte quatre histoires ancrées dans l’Inde contemporaine, qui se déroulent chacune dans des villes différentes. Chacune aborde des sujets très durs : l’homosexualité, l’inceste, l’insémination artificielle et l’exil. Toutes ont un point commun : la question de l’identité
 
Un des personnages, Megha, est une jeune femme hindoue qui revient au Cachemire, vingt ans après l’avoir fui. Onir est né au Bhoutan en 1969 et l’a quitté pour des raisons politiques [En 1985, le roi Jigme Singye Wangchuck décide d’imposer la culture bhoutanaise à l’ensemble du pays. Une loi prive alors de citoyenneté les personnes originaires d’Inde]. Il a ensuite étudié à Calcutta puis à Berlin avant de revenir s’installer en Inde. Il est réalisateur depuis 2005.
 
Courrier International : Pourquoi cette question de l’exil ?
 
Onir: Quand je me suis rendu au Cachemire [Etat indien en proie à une insurrection indépendantiste, revendiqué par le Pakistan], j’ai vu de nombreuses maisons détruites. Cela m’a choqué. Les notions de foyer [en anglais, le mot "home" renvoie à l’endroit où l’on vit mais aussi au lieu d’origine] et d’identité y prennent une dimension particulière. Aller quelque part volontairement et partir sous la contrainte sont deux choses clairement différentes. Megha m’a aussi été inspirée par l’histoire de mon ami Sanjay Suri, hindou et originaire du Cachemire. Son père a été abattu lorsqu’il était enfant. Megha, elle, a perdu son oncle, tué lui-aussi. Je suis retourné à Srinagar [capitale du Jammu-et-Cachemire] avant que mon ami Sanjay n’y retourne. Sanjay et moi sommes tous les deux des "déplacés".
 
Parlez-nous de vos autres personnages : par exemple Abhimanyu, qui fut abusé enfant, et Omar, un jeune gay de Bombay qui entretient avec la police un rapport trouble.
 
Les abus sexuels en Inde ne relèvent pas que des statistiques, même si 53 % des enfants seraient concernés selon un rapport de l’Unicef. Dans un pays qui met toujours en avant les valeurs familiales, il y a quelque chose qui cloche. Le silence à ce sujet me terrifie: comment les parents et les adultes peuvent-ils être aussi égoïstes ? Pourquoi ne les protègent-ils pas contre ces abus ? Pourquoi ne pas aborder le sujet ? La confiance de l’enfant est tout simplement sacrifiée. Cette histoire m’a aussi été inspirée par l’un de mes amis. Concernant Omar, je suis moi-même gay et j’ai vécu une large partie de ma vie en tant qu’"invisible". En tant que "petite" figure médiatique, il est important pour moi de dire ouvertement que je suis gay, même si je ne veux pas être catégorisé "seul réalisateur gay de Bollywood". L’article 377 du code pénal qui criminalisait l’homosexualité a été abrogé par la Cour Suprême de New Delhi, les Indiens dans le reste du pays peuvent donc s’y référer. Mais il reste du chemin à parcourir. Il est essentiel que tout le monde participe à l’émancipation des LGBT [mouvement lesbien, gay, transsexuel et bi] car souvent les riches homosexuels délaissent la question politique. On assiste cependant à une évolution des mœurs, bien qu’elle soit trop lente. I AM a reçu une récompense nationale, ce qui montre une attitude positive du pays face à ces sujets difficiles. C’est une première étape, importante à mes yeux.
 
Votre premier film My brother…Nikhil, réalisé en 2006, se déroule à Goa au début des années 90, et suit un champion de natation, Nikhil Kapoor, séropositif, qui doit vivre enfermé s’il ne veut pas être emprisonné comme la loi d’alors l’impose. Le sida est-il un sujet que l’on aborde facilement dans le cinéma indien d’aujourd’hui ?
 
A l’origine, ce film devait être un documentaire, mais Sanjay m’a poussé à en faire un film. De nos jours, officiellement, le sida recule en Inde. Le problème, selon moi, est cette idée répandue que le sida ne concerne que les hommes pauvres, les conducteurs de camions, les prostitué(e)s. Dans mon film, ce drame ne touche pas une famille pauvre et rurale. Au contraire, le film s’adresse aux classes moyennes supérieures, qui ont tendance à simplifier la question en s’imaginant qu’elles sont loin d’être touchées par la maladie. En Inde, ce sujet reste très peu traité.
 
Vous travaillez actuellement sur un nouveau film, intitulé Chauranga. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
 
 
hauranga signifie "quatre couleurs" en hindi. Le tournage débute en septembre, il abordera le thème des dalits [les intouchables, exclus de la hiérarchie des castes]. Le drapeau indien est le Tiranga [ce qui signifie tricolore en hindi : le safran pour la bande du haut, le blanc au milieu et le vert pour la bande du dessous]. Selon moi, il manque une quatrième couleur : celle du système des castes. L’histoire s’inspire d’un fait divers tragique survenu en 2008 dans le nord de l’Inde. Un jeune dalit a été poussé sous un train. Il avait écrit un poème d’amour à une fille issue d’une caste supérieure. La punition a été mortelle. Mon projet a obtenu un prix au festival du film de Goa en 2011 ce qui montre que le monde du cinéma indien s’ouvre de plus en plus à ce genre de thématique. Bien que le cinéma de Bollywood domine très largement les salles de cinéma du pays et d’Asie du sud en général, le cinéma indépendant indien s’impose. Je pense au cinéma marathi de Ramesh Kulkarni ou encore au cinéma bengali et kéralais, fortement ancrés localement. L’Etat indien ne soutient pas financièrement la création cinématographique, contrairement à l’Europe. Il est donc très difficile de produire un film indépendamment des grands studios et grands producteurs.
 
Tous les films indiens pour le cinéma et la télévision sont examinés par l’Office de Régulation et de Censure. Les critères imposent de respecter l’ordre public et la moralité. Les scènes de sexe, de nudité ou de conflits interreligieux sont très difficiles à faire passer. [1] Que pensez-vous de cet Office?
 
Ses critères de sélection des films sont arbitraires. Certains films violents se voient délivrés des certificats pour tous publics, lorsque des films qui traitent d’actes d’amour se les voient refuser.