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 d’ADHEOS

A l’occasion du 26 octobre, journée internationale de visibilité intersexe, le collectif Intersexes et Allié-e-s-OII France lance une campagne pour aider les personnes intersexes à porter plainte. L’objectif ? Que les condamnations dissuadent progressivement les médecins de continuer les mutilations.

« J’ai été opéré étant enfant, on ne m’a pas dit de quoi, les soignants me faisaient croire que c’était quelque chose comme l’appendicite… Quand j’ai plus tard interrogé ma mère elle m’a donné quelques brides d’informations. Mais depuis que j’ai compris que j’étais intersexe* et commencé à poser un regard critique sur ce qui s’était passé… plus rien ». A 34 ans, Ikram attend toujours de pouvoir récupérer son dossier médical. Le tabou est lourd dans les familles, rongées parfois par la culpabilité d’avoir cédé aux médecins incitant à opérer leurs enfants, sans raison de santé valable.

Aujourd’hui Ikram va peut-être faire partie des personnes intersexes qui vont se lancer dans un combat pour la vérité et la justice. « J’en ai besoin, d’abord pour ma santé mentale, puis pour que ce qui a été fait soit reconnu. On m’a trop menti. Je voudrais demander justice », ajoute-t-il. Peu de personnes intersexes ont pour l’instant entamé une procédure judiciaire contre les médecins qui leur ont fait subir des réassignations forcées. « Beaucoup sont précaires, car iels ont quitté leur famille tôt, arrêté des études, ont eu des traumatismes importants qui les ont poussé à des conduites à risques… », souligne Loé du collectif Intersexes et Allié-e-s-OII France (CIA-OII France).

Un réseau de professionnels

De plus, la démarche est longue et leur demande de se replonger dans des souvenirs traumatisants. Le CIA-OII France a donc décidé de faciliter le dépôt de ces plaintes en montant un réseau d’avocats et de psychologues partenaires, pour donner aux personnes plaignantes tous les outils et les supports dont elles auraient besoin, de manière gratuite.

Tout ce dispositif d’accompagnement est impulsé par une nouvelle campagne intitulée « Intersexes : justice, maintenant ! », lancée le 26 octobre 2020, pour la journée internationale de visibilité intersexe, en lien également avec la Quinzaine de visibilité intersexe organisée par le CIA-OII France. 

Connaître ses droits

Communiquer largement avec cette campagne, médiatiser des procès, c’est aussi une manière de « faire connaître aux personnes intersexes leurs droits et leur donner la possibilité de les faire valoir. Il y a des personnes prêtes à porter plainte, mais il faut les trouver », souligne Loé.

Les personnes intersexes ont souvent l’impression d’être seules dans cette situation. « Je pensais que pour qu’on me fasse des choses pareilles je devais être un cas unique. Le secret était tel autour de mes opérations que j’aurais pu finir par croire que j’affabulais si je n’avais pas rencontré d’autres personnes intersexes il y a trois ans », témoigne Naïma**. « Les médecins ne disent jamais qu’il existe d’autres personnes intersexes », ajoute Loé.

Accompagnement personnalisé

L’avocat Benjamin Pitcho, dont le cabinet est l’un des partenaires du collectif, précise également qu’iels proposent « un accompagnement personnalisé et s’engagent à être disponibles ». Il explique le début de la démarche : « nous analysons avec iels leurs chances de succès et on leur explique les éventuels obstacles et difficultés, selon chaque voie d’action (pénal, civil, demande auprès du Défenseur des droits… ). Le premier obstacle est personnel, car il faut revivre son parcours ».

« Cela va être difficile de rouvrir mon dossier médical, se replonger dans mes traumatismes… D’autant que pour préparer le procès, le dossier ne suffit pas, il faut mener un travail archéologique, fouiller dans son passé, recoller les événements, interroger ses proches, voir à quel moment les notes scolaires ont chutées… » précise Yx**.

Délai de prescription

Le parcours vers la vérité est long, et demande un accompagnement personnalisé, notamment psychologique. Naïma, âgée de 41 ans, a réussi à obtenir son dossier médical lorsqu’elle est devenue majeure. « Je n’ai osé l’ouvrir qu’il y a trois ans, cela rend certaines choses réelles mais soulève aussi d’autres interrogations, il s’avère qu’il est incomplet ». Pour soulager les personnes intersexes dans leurs démarches, le collectif va leur proposer de se charger des demandes et relances, mais aussi de les accompagner si besoin dans la lecture de leur dossier, pour apporter un soutien mais aussi un décryptage.

Etant donné la difficulté à obtenir les dossiers médicaux, et celle des personnes intersexes à en prendre connaissance, les délais de prescription ne sont pas adaptés. « Quand la personne n’avait pas la possibilité d’agir car les faits étaient dissimulés, le délai de prescription devrait courir jusqu’à leur découverte. Nous avons déjà plaidé qu’il y avait eu un obstacle insurmontable, cela a été refusé devant la Cour de cassation, nous sommes désormais avec cette affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme », explique Benjamin Pinto.

Un examen médical insurmontable

Obtenir vérité et justice demande « un processus de maturation, car il faut se confronter à ses souvenirs, sa famille, l’institution médicale… La lecture du dossier médical est souvent déclencheur, car on apprend des choses qui mettent en colère et donnent la motivation de porter plainte », constate Loé, qui est également président-e du RéFRI (Réseau Francophone de Recherche sur l’Intersexuation).

Mais, une fois cette démarche faite, d’autres obstacles surviennent, comme celui de l’examen médical par un médecin expert de la Cour. « Je ne veux pas que mon corps soit examiné. J’aimerais que le dossier médical suffise à établir ce que j’ai subi », espère Naïma. Elle est loin d’être la seule à voir cet examen comme une épreuve insurmontable, ce qui peut limiter le nombre de plaintes.

Être reconnu-e comme intersexe

Les plaintes seront déposées « contre X », « au juge de voir si cela relève de la responsabilité du médecin ou de l’Etat. Si plusieurs plaintes au civil condamnent l’Etat, celui-ci pourra peut-être envisager la création d’un Fonds d’indemnisation pour dommage et intérêts pour s’éviter des procès, ce qui pourrait permettre aussi d’échapper aux examens médicaux », analyse Loé.

De ces procès, certain-e-s espèrent une reconnaissance de leur identité, mais aussi de leur statut de victime. « Je me demande aujourd’hui comment être reconnue comme personne intersexe par la société. Je ne pense pas obtenir justice avec un procès, mais être reconnue comme victime c’est important. Toutes les opérations que j’ai subies ont eu des conséquences sur ma santé physique et mentale, je n’ai pas fait d’études, je n’arrive plus à travailler depuis un an… », confie Naïma. « J’attends aussi des procès une reconnaissance de ce qui a été fait, nos histoires sont silenciées, très peu visibles, dans nos familles c’est compliqué d’en parler… on ne voit que les points de vue des médecins », critique Yx.

L’importance d’une jurisprudence

Egalement intersexe, Loé réfléchit aussi à porter plainte. « J’ai l’essentiel de mon dossier médical, il y a des descriptions d’actes très intimes, c’est compliqué de partager tout cela avec des inconnus, il y a un côté humiliant à en parler. Cependant, c’est important qu’il y ait des personnes intersexes qui montent au front, pour voir ce qui peut être rejeté ou non ».

De sa naissance à ses 15 ans, Yx a subi une médicalisation présentée à ses parents comme nécessaire, avec des opérations. Aujourd’hui, iel envisage à 25 ans de porter plainte. « Ce n’est pas quelque chose que j’envisage comme une réparation, car je ne pense pas que mes bourreaux seront jugés responsables, puisque c’est tout un système qui cautionne ces mutilations. J’aborde ce procès comme une démarche politique et militante, pour créer un précédent qui puisse faire évoluer les pratiques médicales et la perception des enfants et adultes intersexes ».

Pour l’avocat Benjamin Pitcho, « même si la loi est claire, l’interdiction des mutilations n’est pas encore juridiquement reconnue. En portant plainte, ces personnes vont créer du droit, cela permettra aux dossiers suivants d’être traités plus facilement ».

Après avoir tenté – sans succès – la voie législative l’été dernier, lors du débat parlementaire sur la nouvelle loi de bioéthique, les militant-e-s intersexes espèrent qu’en incitant à porter plainte, on puisse « obtenir jurisprudence, pour dissuader les médecins à faire ce type d’actes et de pratiques. »