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 d’ADHEOS

Sociologue enseignant à Paris 8, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Eric Fassin est l’un des meilleurs spécialistes français de la question du mariage des couples homosexuels.
 
L’an dernier, vous aviez été très nombreux à apprécier ses éclaircissements sur la mention des études de genre dans les manuels scolaires, qui faisait alors la une de l’actualité dans une certaine confusion. C’est pourquoi nous avons à nouveau fait appel à lui il y a quelques jours, pour vous proposer de poser vos questions sur un autre sujet qui fait à son tour la une de l’actualité: le mariage pour tous et la parentalité des homos. Voici la première partie de ses réponses.
 
En couple depuis plus de trois ans, on attend avec impatience que le mariage soit enfin autorisé. On essaie de se tenir un maximum au courant, mais je ne comprends pas bien pourquoi la religion a son mot à dire dans cette décision qui n’est en aucun relié à leur religion. Je comprends leur point de vue mais je ne vois pas pourquoi dans une France dite laïque et égalitaire, la religion a encore un poids aussi important? Nous souhaitons nous marier à la mairie et non à l’église!
Effectivement, la France n’est pas le Danemark, où le luthérianisme est religion d’Etat. Or le Danemark vient d’ouvrir en 2012 le mariage aux couples de même sexe: en conséquence, l’Eglise luthérienne a dû leur ouvrir le mariage religieux, quitte à prévoir une clause de conscience pour les pasteurs récalcitrants. En revanche, en Grande-Bretagne, si l’Eglise anglicane refuse l’ouverture imminente du mariage, elle pourrait bien devoir renoncer à son statut officiel.
 
Mais en France, l’Eglise catholique est séparée de l’Etat depuis 1905: nul n’envisage donc de la forcer à ouvrir le mariage religieux aux couples de même sexe. Chez nous, ce sont des élus de droite qui invoquent déjà une «clause de conscience»: drôle de conception de la République laïque…
 
Reste que l’Eglise n’a pas fait vœu de silence: la laïcité n’interdit nullement aux religions de se faire entendre. Les évêques ont bien le droit de s’opposer à la réforme. Mais, aux yeux de l’État, ce lobby n’a aucun privilège – ni plus ni moins que n’importe quel lobby.
 
Je remarque seulement que cette conception ouverte de la laïcité, dont bénéficie l’Eglise catholique, semble oubliée lorsqu’on parle d’islam. Si l’on entend des imams s’opposer à l’égalité des sexes, on crie aux dangers de l’islamisme. Lorsque des évêques se mobilisent contre l’égalité des sexualités, on les écoute avec respect. Mgr Barbarin a déclaré le 14 septembre: «après, ils vont vouloir faire des couples à trois ou quatre, après, un jour peut-être je ne sais pas quoi… l’interdiction de l’inceste tombera». Que n’aurait-on pas entendu en réaction s’il s’était agi d’un représentant de l’islam! On nous aurait sans doute expliqué que cette religion est étrangère à notre culture démocratique…
 
Pourquoi, contrairement aux catholiques, les luthériens considèrent-ils qu’il n’y a pas de problème avec l’homosexualité et les personnes homosexuelles? Sur quoi se base l’homophobie de l’Eglise catholique, alors même que les luthériens (même dieux, même Bible) ont renoncé à l’homophobie ?
Les Eglises chrétiennes sont divisées, effectivement – et les lignes de fracture passent au sein même des Eglises, menacées de schisme: songeons par exemple à l’anglicanisme, dans ses rapports avec l’Afrique. Certes, l’Eglise catholique a réussi à faire taire les voix dissidentes, alors qu’elles s’expriment bien davantage dans les dénominations protestantes; mais c’est pour des raisons qui sont moins théologiques que hiérarchiques: le pouvoir est centralisé à Rome. Or le conservatisme y est aux commandes depuis la parenthèse de Vatican II.
 

L’argutie agressive de l’église catholique n’est-elle pas là pour mettre un contre feu face à l’incendie des prêtres pédophiles et à la question du mariage des prêtres?
 
Force est de constater que l’Église semble davantage considérer l’homosexualité comme une menace que la pédophilie – y compris en son sein. C’est ainsi que l’instruction de novembre 2005, qui écarte des ordres «ceux qui pratiquent l’homosexualité, présentent des tendances homosexuelles profondément enracinées ou soutiennent ce qu’on appelle la culture gay», n’a pas d’équivalent pour les pédophiles. À moins de confondre les deux, comme peut-être dans cette formule d’un flou inquiétant: «il ne faut pas oublier les conséquences négatives qui peuvent découler de l’ordination de personnes présentant des tendances homosexuelles profondément enracinées.»
 
Quant au célibat des prêtres, il pose en effet problème – du point de vue même de la théologie actuelle du Vatican: en effet, pour résister à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, l’Eglise nous explique que l’homme est fait pour la femme, et la femme pour l’homme. C’est notre nature, nous dit-on, et notre vocation: c’est en ce sens que les évêques accordent au mariage une dimension «anthropologique», qui définit l’humanité. Mais alors, l’Eglise n’est-elle pas humaine, du fait qu’elle refuse le mariage aux prêtres? Serait-elle «contre-nature»?
 
S’opposer au mariage pour tous, est-ce être homophobe?
 
C’est une question de définition. Faut-il parler d’homophobie seulement pour les personnes qui ont un rapport phobique à l’homosexualité (dégoût, haine…), ou bien aussi, plus largement, pour celles qui refusent l’égalité entre les sexualités? Pour éclairer ce choix, j’avais proposé, à la fin des années 1990, une double comparaison. D’un côté, nous distinguons volontiers le sexisme (anti-égalitaire) de la misogynie (phobique). De l’autre, nous incluons dans le racisme, non seulement la phobie de l’Autre, mais aussi les discours sur l’inégalité des races. Le refus de l’égalité des droits est-il plutôt comparable au sexisme? On parlera alors d’hétérosexisme. Ou bien est-il davantage comme le racisme? On dira dans ce cas qu’il s’agit d’homophobie.
 
Sans trancher entre les deux options, je dirai autre chose: même si l’on préfère parler d’hétérosexisme, il faut bien voir que ce discours policé légitime l’homophobie la plus brutale. Je pense aux violences qui traduisent ces discours en actes, ainsi qu’au suicide des jeunes qui découvrent leur orientation sexuelle: ne leur a-t-on pas signifié qu’ils n’avaient pas une égale valeur, en leur fermant la porte d’institutions aussi importantes, symboliquement, que le mariage et la famille, dont ils seraient indignes en raison de ce qu’ils sont?
 
Eric Fassin est l’invité ce soir à 20h05 de 28 minutes sur Arte, sur le même thème.