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 d’ADHEOS

En 2019, des dizaines de collectivités polonaises se déclaraient « zones libres de l’idéologie LGBT+ ». La plupart ont reculé, sous la pression financière de l’Union européenne. Mais le quotidien des personnes LGBT+ ne s’est pas amélioré pour autant.

Rendez-vous a été donné au pied d’un immeuble anonyme du centre-ville. Deux jeunes gens en sortent, contrôlent rapidement les alentours avant de faire entrer leurs visiteurs. « Désolé de ces précautions, mais on doit toujours vérifier à qui on ouvre », s’excusent-ils en souriant. Le petit groupe grimpe au dernier étage. Un parapluie arc-en-ciel est posé sur le palier, comme pour le laisser s’égoutter. Une petite table, une bibliothèque, quelques poufs colorés : bienvenue au refuge de l’organisation de défense des droits LGBT+ Otwarty Parasol (Parasol ouvert, en français). L’adresse est tenue secrète. « On craint toujours de voir débarquer un hooligan avec une batte », confie Emil (un pseudonyme), 21 ans.

Le lieu a ouvert à la mi-août. Les adhésions et des fonds du corps européen de solidarité paient le loyer. « On l’a pensé comme un endroit où se protéger des dangers et des influences négatives », explique Emil. Une respiration au milieu de l’hostilité ambiante. Ici, tout le monde a une agression homophobe ou transphobe à raconter. Lex, 19 ans, dit être insultée régulièrement et même s’être fait cracher dessus. Emil, qu’il réfléchit toujours à deux fois avant de saisir la main de son copain dans la rue. Une autre rapporte que pas plus tard qu’à l’instant, quelqu’un a collé sur son sac un autocollant « Non à la propagande LGBT », en réponse à un pin’s qu’elle portait. Elle le mentionne comme ça, juste en passant.

Le tournant 2019

« En Pologne, la situation n’est pas bonne pour les personnes LGBT+. Ici, c’est pire. Sur les questions de genre, on est encore au Moyen Âge », lâche Lex. « Ici », c’est Bialystok, capitale régionale de la Podlachie, région conservatrice tout à l’est du pays. Trois cent mille habitants, des musées, une université et une « Marche de l’égalité » qui, le 22 juillet 2019, place la ville au cœur de l’actualité. Ce jour-là, un millier de personnes s’apprêtent à participer à la première manifestation de ce genre à Bialystok. Face à elles, une foule hétéroclite essentiellement composée de supporters ultra entend bien les en empêcher. Les insultes fusent. Des œufs, des pierres, des bouteilles, des dizaines de pétards pleuvent en direction des marcheurs.

L’événement apparaît comme l’acmé d’une année marquée par les attaques homophobes. « C’est à ce moment-là que la violence verbale s’est transformée en violence physique », résume Elzbieta Korolczuk, professeur à l’École d’histoire et d’études contemporaines de Södertörn, en Suède. Tout commence en février, lorsque le maire de Varsovie fait de la capitale un « refuge » pour les personnes LGBT+. Le parti Droit et justice (PiS) au pouvoir s’empare aussitôt de la question pour en faire le thème majeur de sa campagne pour les élections européennes, puis de celle pour les législatives. Les activistes LGBT+ sont accusés d’être des agents de l’étranger qui veulent détruire l’identité et la famille polonaise. Les médias publics, transformés en véritables outils de propagande par le gouvernement, assimilent l’homosexualité à la pédophilie. L’archevêque de Cracovie qualifie le mouvement de « peste arc-en-ciel ».

Dans le même temps, des dizaines de collectivités signent une résolution « anti-idéologie LGBT » ou, plus subtilement, une « charte des droits des familles ». Bialystok est l’une d’elles. L’initiative leur permet notamment de couper les subventions des associations qui œuvrent pour l’égalité des droits, ou d’interdire les cours de sensibilisation et d’éducation sexuelle. Mi-juillet, l’hebdomadaire Gazeta Polska joint à son numéro des autocollants « Ceci est une zone sans LGBT ». Les effets de cette libération de la parole homophobe sont ravageurs : les militants rapportent une multiplication des cas de dépression et de tentatives de suicide chez les jeunes LGBT+. La Pologne, classée 33ᵉ sur 49 pays pour le respect des droits de ces personnes dans l’index établi par la section européenne de l’International Lesbian and Gay Association (Ilga) en 2015, dégringole à la 42ᵉ place, la dernière de l’Union européenne. Elle ne l’a plus quittée.

Vers une union civile

Pour Lex et Emil, les attaques contre la marche des fiertés ont au moins eu le mérite d’ouvrir le débat sur la situation des personnes LGBT+. « Avant, on était ignorés. À partir de là, les gens ont commencé à se positionner. Un acteur célèbre a fait son coming-out, une communauté s’est formée », salue le jeune homme. La plupart des collectivités « libres de l’idéologie LGBT » ont depuis fait machine arrière, afin de percevoir de nouveau les financements dont l’Union européenne les avait privées. Mais le quotidien des personnes LGBT+ ne s’est pas amélioré pour autant. L’ONG Ilga-Europe pointe les discriminations dont elles font toujours l’objet dans les secteurs de l’éducation, de la santé… Aucune loi ne les protège contre les discours de haine. Et elles n’ont toujours pas la possibilité de se marier ou d’adopter.

La victoire de l’opposition libérale aux législatives de dimanche 15 octobre pourrait en partie changer les choses. Le chef de la Coalition civique Donald Tusk (KO) s’est engagé à mettre en place une union civile pour les personnes de même sexe dans les 100 jours suivant la formation d’un gouvernement. Pour le militant Bart Staszewski, cependant, là n’est pas la priorité ; il s’agit d’abord de protéger la communauté LGBT+. « La loi sur les discours de haine doit être modifiée pour protéger aussi les personnes LGBT et correspondre aux normes européennes, réclame-t-il. Il s’agit d’un élément fondamental des normes démocratiques en vigueur dans la plupart des pays européens. »

Mais faire évoluer les mentalités prendra du temps, prévient la chercheuse Elzbieta Korolczuk : « Cela passe par l’éducation, les médias, les débats publics. Or, en huit ans, le PiS s’est constitué un empire considérable qui va lui permettre de continuer à peser dans les débats. » Lex, issue d’une famille conservatrice, croit tout de même percevoir des signaux encourageants. « Désormais, quand mes parents entendent parler de gays ou de LGBT, ils n’ont plus de réactions négatives. »

Avec la collaboration d’Adrien Beauduin

 

SOURCE :www.rfi.fr