L’ancien ministre chiraquien Jacques Toubon, que François Hollande veut nommer Défenseur des droits, passe mercredi un grand oral difficile devant la commission des Lois de l’Assemblée nationale, où il va affronter l’hostilité de nombreux députés socialistes.
Il est cependant peu probable que sa désignation soit l’objet d’un veto parlementaire, qui, aux termes de la Constitution, nécessite trois cinquièmes des suffrages exprimés parmi les commissions des Lois de l’Assemblée et du Sénat.
Le vote à l’Assemblée, à bulletins secrets, interviendra dans la foulée de l’audition mais ses résultats ne seront connus que le 9 juillet, une fois que la commission sénatoriale aura à son tour procédé à l’audition et au scrutin.
Le président de la République a annoncé le 11 juin son intention de désigner Jacques Toubon, 73 ans, à la succession de Dominique Baudis, décédé en avril, à cette fonction clef. Le Défenseur des droits, créé par la réforme constitutionnelle de 2008, a remplacé à la fois le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et la Commission nationale de déontologie de la sécurité.
Le choix de M. Toubon a aussitôt suscité une levée de boucliers dans les rangs de la gauche, avec une pétition revendiquant 95.000 signatures, contre une personnalité perçue comme incarnant une "caste qui se partage les postes de la République, totalement déconnectée de la société".
Lui sont reprochés ses votes, lorsqu’il était député RPR, en 1981 contre la loi abolissant la peine de mort – il avait voté l’article abolissant le châtiment suprême mais pas l’ensemble de la loi car il aurait voulu une peine de substitution -, en 1982 contre celle dépénalisant l’homosexualité, et ses interventions sur les magistrats lorsqu’il était ministre de la Justice de 1995 à 1997. Son âge est aussi perçu comme un handicap.
Sans a priori
Sans répondre directement, l’intéressé a affirmé avoir toujours agi durant sa carrière "sans oeillères partisanes et sans a priori idéologiques", dans un texte publié lundi sur le site de l’Assemblée nationale.
Réussira-t-il à en convaincre les membres de la commission? A gauche, ce sera difficile.
Les députés PS Yann Galut et Alexis Bachelay ont écrit à leurs collègues de la commission des Lois, où eux-mêmes ne siègent pas, pour leur demander de rejeter "massivement" la nomination. Et les ténors du PS ne se sont pas bousculés pour soutenir la décision de François Hollande, malgré la mise en garde de Manuel Valls contre un risque "de sectarisme".
Le président de l’Assemblée, Claude Bartolone, a ainsi déclaré qu’il n’aurait "pas proposé Jacques Toubon".
"Les collègues veulent poser des questions à Jacques Toubon et plusieurs m’ont dit qu’ils se détermineront en fonction des réponses", a indiqué à l’AFP Jean-Jacques Le Bouillonnec, chargé de défendre le point de vue socialiste sur ce dossier au sein de la commission. Les socialistes devraient se répartir entre votes contre et abstentions, selon l’un d’entre eux.
Mais même si tous les députés de gauche émettaient un vote hostile, cela ne constituerait pas une majorité des trois cinquièmes contre, car de l’autre côté, les députés de l’opposition vont "exprimer un soutien fervent" à l’ancien ministre de Jacques Chirac, selon le rapporteur de la commission, Guy Geoffroy (UMP).
"Certes, il y a la règle des trois cinquièmes, mais s’il n’y a qu’une minorité de gauche à voter pour, on ne pourra pas ne pas en tenir compte", pense un des porte-parole du groupe socialiste, Thomas Thevenoud. Au contraire, pour Jean-Yves Le Bouillonnec, "personne ne peut concevoir que le président de la République revienne en arrière".
Une analyse qui rejoint celle du président de la commission des Lois, Jean-Jacques Urvoas (PS), qui déclarait vendredi sur Parlement hebdo (LCP-Public Sénat) que Jacques Toubon " sera Défenseur des droits".
En tout état de cause, selon M. Le Bouillonnec, cela aura été la première fois, depuis qu’en 2008 le Parlement s’est vu doter d’un droit de veto sur les nominations, que l’une d’entre elles "rencontre une telle opposition".
L’autre audition, prévue mercredi, celle de l’ancienne magistrate et ancienne maire PS de Reims Adeline Hazan, choisie par François Hollande pour devenir contrôleure générale des lieux de privation des libertés, devrait être plus consensuelle, du moins à gauche.
- SOURCE ELLICO