Pour économiser son temps et réduire les délais de traitement, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) multiplie les rejets par ordonnance, ce qui empêche les plus vulnérables, comme les personnes LGBTI+, de convaincre les juges du bien-fondé de leur requête.
En France, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est la juridiction qui examine les recours contre les décisions de rejet de demande d’asile prises par l’Office français de protection des réfugié-es et apatrides (Ofpra). Environ un quart des personnes réfugiées obtiennent la protection internationale à l’issue d’une audience devant cette Cour nationale du droit d’asile, qui peut casser la décision de l‘Ofpra. Depuis le 4 octobre, les agent-es de la Cour et les avocat·es spécialisé·es dans le droit d’asile (rassemblé·es au sein de l’association Elena-France) mènent une série de grèves à la CNDA, dénonçant sa politique du chiffre qui porte atteinte aux droits des demandeurs et demandeuses d’asile.
L’un des symptômes les plus visibles de cette politique du chiffre est la multiplication des rejets par ordonnance : la demande d’asile est rejetée sans que le ou la demandeur-se d’asile puisse expliquer lors d’une audience les raisons qui l’ont poussé·e à quitter son pays et détailler les persécutions dont il ou elle a été victime. La Cour entend ainsi économiser son temps – et par là même diminuer son “stock” de dossiers en instance – et faire l’économie d’une audience qui, outre le ou la requérant·e, réunit un ou trois juges, un·e rapporteur·e, un·e secrétaire.
Si les rejets par ordonnance sont rendus possibles par loi pour les recours qui ne contiennent pas d’éléments susceptibles de remettre en cause la décision de l’Ofpra, les demandeurs et demandeuses d’asile les plus vulnérables, comme les personnes LGBTI+ ou les femmes victimes de traite d’êtres humains, étaient jusqu’à présent le plus souvent épargné·es par ces types de décisions qui sont d’une très grande violence. Or l’Ardhis (Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour) constate, aux côtés des organisations de défense du droit d’asile, que ces rejets par ordonnances se multiplient, y compris contre les demandeurs et demandeuses d’asile LGBTI+ depuis plusieurs mois.
Comment convaincre de son homosexualité ou de sa bisexualité en étant privé du droit de s’exprimer devant ses juges ?
Obtenir l’asile pour une personne LGBTI+ revient à convaincre les juges de la réalité de son orientation sexuelle ou expression de genre. Devant l’impossibilité fréquente de le prouver par des éléments matériels, la décision d’accorder la protection de la France repose alors sur l’intime conviction des juges. Comment convaincre de son homosexualité ou de sa bisexualité en étant privé du droit de s’exprimer devant ses juges ? Comment persuader de sa transidentité sans pouvoir exprimer son ressenti aux personnes en charge de la décision ? Associations, avocat·es et même juges s’accordent sur l’importance de l’oralité pour juger du bien-fondé de la demande d’asile des personnes LGBTI+.
Les rejets par ordonnance ne sont pas les seuls symptômes relevés par l’Ardhis de recul du droit d’asile des personnes LGBTI+ : certain·es juges peuvent reconnaître la réalité de l’orientation sexuelle du ou de la requérant·e, tout en niant les craintes de persécutions, y compris dans des pays où l’homosexualité est pénalisée comme l’Algérie ou le Sénégal. Ces décisions, qui reviennent à renvoyer des personnes LGBTI+ dans des pays où leur vie est en danger et où ils devront dissimuler leur orientation sexuelle, sont pourtant en contradiction avec la jurisprudence établie par la Cour de justice de l’Union européenne et le Conseil d’État.
Ces reculs s’ajoutent aux difficultés dénoncées depuis des années par les associations qui accompagnent les demandeur·ses d’asile LGBTI+, à savoir un déficit de formation des juges sur les questions LGBTI+, en particulier en contexte interculturel, qui en amène certain·es à prendre les décisions fondées sur leurs représentations et leurs a priori. Devant l’impossibilité de prouver l’orientation sexuelle, c’est l’éloquence des requérant-es qui décide de leur destin, ce qui pénalise les moins instruit·es et les plus fragilisé·es par leurs traumatismes qui auraient besoin de plus de temps pour trouver leurs mots et rassembler leurs idées. La politique du chiffre imposée par la Cour ne fait qu’accentuer cette tendance et contribue à des rejets injustes.
Devant la surdité de la présidence de la Cour dénoncée par les avocat·es et les agent·es, et le déni du gouvernement, questionné à ce sujet par le député Sébastien Nadot, président de la commission d’enquête sur les migrations, les avocat·es ont appelé à la poursuite du mouvement. L’Ardhis soutient fermement cette mobilisation, pour la garantie d’une audience collégiale devant la Cour nationale du droit d’asile et plus généralement pour la défense des droits de tou·tes les demandeur·ses d’asile.
- SOURCE TETU