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 d’ADHEOS

De "Les Garçons et Guillaume, à table !" à "La Vie d’Adèle" en passant par "L’Inconnu du lac", les César 2014 ont récompensé nombre d’histoires mettant en scène des homosexuels. Une reconnaissance qui tardait. Alors, peut-on enfin cesser de parler du cinéma gay comme d’un sous-genre ? Réponse de Marla Singer, professeure de cinéma
Cinq César pour "Les Garçons et Guillaume, à table !", un pour "La Vie d’Adèle", un autre pour "L’Inconnu du lac", soit sept César pour trois films traitant ouvertement d’homosexualité. Découverte de l’autre et de soi, éveil du désir et quête d’identité, le temps où le cinéma gay était réservé à de rares festivals et des films indépendants est loin derrière nous. 
 
"Les Garçons et Guillaume, à table !" : Rire et réfléchir  
 
Les gays sortent du placard cinématographique. Guillaume Gallienne a habilement déjoué les attentes du spectateur : plutôt qu’un garçon qui se découvre homosexuel, il a raconté l’histoire d’un jeune homme que l’on suppose gay et qui se découvre hétéro. Comédie fine sur l’enfance, l’adolescence, les clichés de la virilité, et au final l’un des plus beaux hommages aux femmes que l’on ait pu voir au cinéma.  
 
"Les Garçons et Guillaume, à table !" fait rire, réfléchir, et émeut dans un couple mère-fils inoubliable incarné par le même acteur. La difficulté, cependant, réside dans la lecture que certains spectateurs feront du film : des parents inquiets courront peut-être vers leur fils homosexuel pour lui dire "Tu vois, mon fils, si ça se trouve, tu es comme Guillaume Gallienne : tu penses être homo, mais c’est parce que tu n’as pas encore trouvé de jeune fille qui te plaise". Non pas que ce fût l’intention de Gallienne, qui a eu le courage d’affirmer sa bisexualité.  
 
Il a fait un film sincère qui aidera sans doute d’autres jeunes gens : ceux qui, un peu efféminés, sont pris pour des homosexuels alors qu’ils préfèrent les femmes.  
 
L’homosexualité féminine peu abordée côté français  
 
Parlons des femmes, justement. Le cinéma s’est très peu penché sur l’homosexualité féminine. "When Night is Falling" sorti en 1996 racontait la vie d’une femme pieuse tombant amoureuse d’une artiste de cirque, dans un film à l’esthétique délicate. "Bound", la même année, ajoutait un charme sulfureux à la relation féminine.  
 
Côté français, fort peu de choses, à part "Gazon Maudit" (1995), empli de clichés, tout comme "Pédale Douce", sorti la même année.  
 
Onze ans plus tard, c’est Ang Lee, avec "Le Secret de Brokeback Mountain", qui montre un couple d’hommes avec finesse et sensibilité. "Hedwig and the Angry Inch", peu connu mais très réussi, remarqué au festival de Sundance en 2001, posait la question de la transsexualité, dans un film rock haut en couleurs, adapté d’un spectacle de Broadway.  
 
D’autres films mettent en scène des homosexuels qui ont marqué l’Histoire, comme "Harvey Milk", "Oscar Wilde", "Truman Capote" ou "Frida" (bisexuelle).  
 
"La Vie d’Adèle" : une rupture dans le cinéma français  
 
Mais qu’en est-il des anonymes ? "Les Invisibles" leur rendait hommage en 2012. "Ma Vie en rose", c’était l’enfance d’un garçon qui se rêvait petite fille. "Tomboy", celle d’une petite fille qui se rêvait garçon. Dans "Boys Don’t Cry", Teena Brandon se faisait appeler Brandon Teena. "La Vie d’Adèle" marque une vraie rupture dans le cinéma français.  
 
"La Vie d’Adèle", ce n’est pas seulement l’éducation sentimentale d’une jeune fille et son désir pour une autre fille. "La Vie d’Adèle" est un film sur le couple. Un couple qui s’aime, se déchire, se jalouse, un couple comme les autres dans une passion féminine.  
 
Bien des hétéros se reconnaîtront dans Adèle et Emma : l’éveil du désir, son sommet, son déclin. Les scènes de sexe, très crues, peuvent bien sûr déranger, mais ont au moins le mérite de montrer que le plaisir d’une femme peut exister sans pénis.  
 
Chapeau bas aux actrices, hétéros, pour leur interprétation. Adèle Exarchopoulos n’a pas volé son César. Il est intéressant de noter que le César du meilleur espoir masculin ait été attribué à Pierre Deladonchamps, qui incarne également un jeune gay dans "L’Inconnu du lac".  
 
Doit-on regretter que "La Vie d’Adèle" n’ait pas reçu le César du meilleur film, au profit du long métrage de Guillaume Gallienne ? Rien n’est moins sûr.  
 
La Vie d’Adèle est remarquable mais avait déjà été largement salué par la critique et avait obtenu de nombreuses récompenses, dont le prix Louis-Delluc et la fameuse Palme d’or. Quoi qu’il en soit, les César 2014 démontrent que le cinéma gay n’est plus un sous-genre, mais du cinéma tout court, et qu’il peut être du grand cinéma.