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 d’ADHEOS

A 37 ans, Caroline Fourest est sans conteste la figure LGBT la plus combative de France et ne se fait pas que des amis. Il faut dire qu’elle le leur rend bien. Rencontre avec une amazone des temps modernes.
 
Rendez-vous est pris un dimanche à Genève. Caroline Fourest y est de passage pour présenter dans le cadre du Festival international du film et forum des droits humains son film «Nos seins, Nos armes!» Un documentaire coréalisé avec Nadia El Fani et qui traite du visage contemporain du féminisme. De ces guerrières qui, à l’instar des FEMEN, rappellent que la condition féminine n’a rien de faible. Caroline Fourest est une journaliste engagée touche-à-tout. Elle est, elle aussi, une de ces femmes qui dénoncent. Qui dérangent. Nous sommes assis dans un bistrot de la place. Malgré le bruit de la machine à café, rien ne peut la déranger. Il faut dire qu’elle a l’habitude du vacarme induit par ses luttes. Son propos est maîtrisé, rodé. Elle répond à nos questions sans faux-semblants. N’hésite pas à balancer. Une franchise qui tranche avec le relativisme ambiant. Son combat? Défendre la liberté et l’égalité.
 
– Caroline Fourest, vous êtes le visage du militantisme LGBT français. Ce n’est pas trop un rôle trop lourd à porter?
– Non! C’est un très beau rôle au contraire. Je crois qu’il n’y a rien de plus beau que d’incarner une cause qui peut faire autant de bien à autant de jeunes quand elle avance. Moi je mène ces combats depuis déjà bien avant le PACS donc depuis 17 ans publiquement. Et c’est toujours émouvant de croiser des jeunes filles et des jeunes garçons qui parfois peuvent me dire «je vous ai vue à la télévision telle année et ça m’a fait du bien. Je me suis dit qu’il y avait des gens comme moi qui pouvaient être heureux, fiers et en plus faire bouger les choses.» Evidemment cela a une contrepartie. C’est que parfois, quand j’ai des adversaires, vient se rajouter à leurs griefs – souvent bien légitimes puisque je leur fait pas mal de tort par mon métier – une dimension supplémentaire: celle de l’homophobie et de la misogynie qui décuple leur violence quand ils m’attaquent. Mais en quelque part, leur rage est aussi une forme de reconnaissance.
 
– D’où vous vient cette envie de lutter, de vous battre?
– Du fait d’être lesbienne justement. Du fait d’être lesbienne. Clairement.
 
– Ça a été une douleur pour vous?
– Pas du tout. C’est une force depuis le départ. Réaliser qu’on incarne tout ce que l’environnement, le contexte de domination, peut craindre et redouter, soit cela vous broie, soit cela vous donne des ailes. Dans mon cas, cela a plutôt été une vraie motivation pour ne jamais me laisser faire et ne jamais baisser les bras face à des mouvements qui pouvaient nuire à cette conception de la liberté, de l’égalité. Une conception qui est la seule, selon moi, à assurer et le vivre ensemble et l’épanouissement individuel de chacun.
 
– Le mariage pour tous est en passe d’être accepté. Qu’avez-vous pensé de la gestion de ce dossier par le gouvernement?
– Ils ont pas mal navigué finalement. Même si j’eus préféré que ce texte vienne beaucoup plus tôt. Que l’on ne laisse pas aux anti-mariage pour tous autant de prise. Qu’on finisse par leur faire croire que plus ils étaient enragés, plus ils étaient insultants, plus ils étaient nombreux à manifester leur rage plus ils réussiraient à amoindrir le texte. Au final, chacun a pu s’exprimer. Ils l’ont fait violemment et parfois de manière plus grotesque. Le texte passera de toute façon et il fera consensus. Parce que la France est un pays qui reste très jacobin. Où l’on a des polémiques, où l’on a des débats enflammés. Et on en a eu d’autres. Mais une fois qu’une loi est gravée dans le marbre de notre corpus juridique, elle ne peut pas se défaire. Elle rassemble nécessairement. Qu’on le veuille ou non, on se retrouve tous autour du respect de la loi. C’est sûr que l’on commence à être à un niveau très sophistiqué du respect des libertés individuelles et de l’intérêt général en même temps. Ce n’est pas pour rien qu’il y a eu quand même des centaines de milliers de personnes capables de prendre les bus et les trains mis à disposition par le collectif de Frigide Barjot et par ceux de l’église catholique et des écoles privées. C’est parce que, effectivement, cette avancée marque une étape dans la vision de ce que doit être la famille. De ce que doit être le respect des modes d’organisation amoureux. Ils le savent et nous le savons aussi. Ce qu’ils n’ont pas compris, c’est que de se battre pour ôter des droits aux autres, pour refuser aux autres quelque chose qui ne les prive de rien… c’est voué à l’échec. Car il faut vraiment avoir une bonne raison d’empêcher une loi de passer. Il faut vraiment montrer qu’elle peut détruire des vies ou en tout cas nuire à la liberté de tous. En l’occurrence ce cadre n’oblige personne à devenir homosexuel. Il n’oblige personne à se marier avec un homme si l’on est un homme, avec une femme si l’on est une femme. Il ne fait que créer des droits supplémentaires. En période de crise économique, où il y a si peu de choses qui avancent, faire un progrès comme ça qui en plus ne coûte pas un centime ça aurait été vraiment inouï de s’en priver.
 
– Le mariage pour tous c’est presque fait. Quel sera le prochain chantier pour la France sur la question des droits concernant les personnes LGBT?
– La question évidemment de la procréation médicalement assistée (PMA). Elle a été séparée de la question du mariage pour tous et peut être que c’est tant mieux. Cela ne relève pas exactement du même cadre juridique. La question du mariage pour tous pose la question de l’égalité. La PMA pose la question de lutter contre la fatalité naturelle que certains appelleraient divine. C’est-à-dire, vous êtes stérile. Frigide Barjot, par exemple, elle est contre la PMA y compris pour les femmes hétérosexuelles puisqu’elles sont nées stériles. C’est une sorte de châtiment, de fatalité qu’il ne faut pas contrer. Encore une fois, c’est terrible, parce que le fait que des femmes puissent avoir des enfants alors qu’elles sont stériles ne va pas changer la vie de Frigide Barjot. Elle, elle a des enfants. Elle a même dit dans un livre avoir voulu en avoir avec un homosexuel. Bon, lui il n’a pas voulu … Elle a l’air passablement éprouvée dans sa vie. Mais ce n’est vraiment pas une raison pour considérer que parce que soi-même on jouit d’un privilège naturel, on doit empêcher la science de permettre à d’autres d’avoir des enfants quand on sait à quel point c’est important pour eux. Donc ça sera le prochain débat. Et peut-être qu’un jour il y aura la question de la gestation pour autrui. Qui est d’une toute autre dimension et qui pose la question du corps de l’autre. Il s’agit vraiment de contractualiser l’acte de faire un enfant avec une tierce personne et la plupart des féministes ne sont pas d’accord sur cette question. Même les progressistes sont divisées.
 
– Vous êtes journaliste, essayiste. Vous écrivez, chroniquez, réalisez. Qu’est-ce qui vous va le mieux comme mode d’expression?
– Je crois que j’ai besoin du plus de mode d’expression possible pour ne pas être trop dans la frustration. Parce que lorsque l’on travaille sur des sujets aussi intenses, parfois complexes, avec beaucoup d’adversaires et d’enjeux à la clé, on n’a jamais assez d’espace dans le journalisme et en tant qu’intellectuelle engagée pour s’exprimer. Donc chaque média et chaque outil a sa vocation. Peut-être que celui que je préfère reste celui de l’écriture de livres. C’est là où je suis la plus libre. Là où j’ai le plus de place. Là où je maîtrise entièrement mon propos, mon travail et où j’ai du temps. Mais c’est grâce à ce temps que je peux prendre pour écrire des essais, creuser des questions, gagner en connaissance et m’éclaircir les idées que je peux ensuite avoir la patience de le dire plus brièvement dans d’autres espaces pour toucher des gens qui ne lisent pas de livres. Réaliser c’est pour moi une autre source de respiration car les gens lisent de moins en moins. Et quand on a envie de communiquer avec eux, de leur faire partager des enquêtes ou des analyses qui peuvent les aider à mieux comprendre les enjeux, les décisions à prendre, les faux semblants et les propagandes à déjouer, on a besoin de tous ces espaces pour arriver à éclaircir un tout petit peu le débat public.
 
– Vous avez été attaquée plusieurs fois sur des questions de déontologie. Est-ce que l’on peut vraiment faire du journalisme militant?
– Ce qui est intéressant c’est que je vois toute la journée des films et je lis des livres fait par des collègues d’une malhonnêteté inouïe. Souvent, ils ne connaissent pas leur sujet parce qu’ils viennent de débarquer sur cette thématique. Qu’ils ont quatre jours maximum, vu la précarité journalistique aujourd’hui. Qu’ils n’ont pas lu de livre sur le sujet. Qu’ils vont regarder quelques sites internet et s’en tenir là. Qu’ils vont faire une interview de quelqu’un et de son contradicteur et vont considérer que c’est ça le journalisme. Moi ça me désespère! J’ai une vision très exigeante de ce qu’est ce métier et du code journalistique qui doit aller avec. J’assume complètement d’être une journaliste engagée. Je suis une intellectuelle engagée qui a pour métier le journalisme. Et j’estime le pratiquer de la manière la plus transparente qui soit. Je dis d’où je parle: du point de vue féministe, antiraciste et laïque. Ce qui n’est pas non plus le top de la subversivité ou une redoutable et machiavélique culture politique.
 
J’assume complètement d’être une journaliste engagée. Je suis une intellectuelle engagée qui a pour métier le journalisme.
 
Beaucoup de journalistes que j’ai admirés à «Libération» sont d’anciens mao, d’anciens trotskistes. Ils ont des cultures politiques beaucoup plus idéologiques que ma génération. Moi je viens d’une génération qui se fait une idée en fonction de l’intérêt général. En fonction du moment et des principes de liberté, d’égalité et de fraternité sur lesquels il ne faut pas transiger. Mais je n’ai pas d’a priori dogmatiques et idéologiques. Ma déontologie, c’est démontrer par les faits, l’analyse. En montrant des documents. En montrant mes sources. Je donne à juger en réalité et c’est pour ça que mes livres sont souvent à la limite de la recherche universitaire, tellement il y a de notes de bas de page. Car je prouve à peu près chaque chose que j’annonce. Ensuite j’ai des adversaires et c’est peut être ça qui donne un effet miroir troublant. Comme j’écris sur des personnes qui sont des propagandistes et des extrémistes, ils sont tous très énervés par ce que j’écris. Je dérange leur communication d’apparence. Leur seul mode de réponse est de m’attaquer. Soit personnellement. Soit de dire tout ça est faux. Tout ça n’est que mensonge.
 
– Si on prend l’exemple de Didier Lestrade qui vous a reproché d’attiser un sentiment anti-islam. Ce dernier n’est pas particulièrement un extrémiste.
– C’est pire.
 
– Est-ce que vous comprenez ces critiques et est-ce que votre pensée n’est pas elle-même vectrice d’une certaine violence?
– C’est juste inouï, si vous voulez. Reprocher à quelqu’un qui se bat pour l’égalité et la laïcité d’être violent quand il s’agit de rester toute la journée calme, précise et modérée face à des gens qui veulent brûler les homosexuels. Qui veulent dominer les femmes et les voiler. C’est à l’image du monde dans lequel nous vivons. Où les démocrates sont toujours ceux qui doivent se justifier et les antidémocrates toujours ceux qui passent pour les plus grands tolérants. En l’occurrence, évidemment qu’il n’y a pas que des extrémistes qui jouent un sale jeu et qui filent un mauvais coton. Ce serait trop simple. Il y a tout un tas d’idiots utiles et de compagnons de route qui facilitent leur travail. Didier Lestrade en fait partie. Didier Lestrade est quelqu’un qui travaille avec des sites comme minorites.org et d’autres et qui considère que toute personne qui critique le voile, toute féministe, laïque, antiraciste qui critique le voile est islamophobe. Il connaît mon travail. Il sait que j’ai critiqué tous les intégrismes religieux et il connaît mes travaux contre le racisme antimusulman. Alors à quoi il joue? Quand il écrit un livre où il finit par dire que son seul regret est de ne jamais avoir couché avec un non-blanc parce qu’au moins il aurait connu la vraie différence… Moi je pose la question: qui est le raciste de nous deux? Qu’est-ce donc que cette phrase dégoulinante de paternalisme postcolonial et exotique? Or il y a dans le milieu gay, il faut le savoir, un tout petit réseau de gens qui sont dans ce différentialisme exotique. Qui comprennent très très bien ce qu’est l’homophobie quand elle vient de l’église catholique et de gens comme Christine Boutin; mais qui sont tout à fait prêts à être fascinés par des gens comme Tariq Ramadan dont le maître à penser, le théologien de référence Youssef al- Qardaoui, pense qu’il faut se poser la question de savoir s’il faut brûler l’actif ou le passif en premier, le jeter du haut d’un mur ou le passer par le sabre. Ces gens-là sont des pourvoyeurs d’homophobie. Qu’ils me traitent d’islamophobe parce que je résiste à tous les intégrismes au nom du féminisme et de la laïcité … c’est juste consternant pour eux. Dans le cas de Didier Lestrade, il y a d’autres facteurs que je ne peux même pas analyser; qui sont des facteurs psychologiques et qui sont tellement mesquins que je vais m’arrêter là.
 
– Sur la question de l’islam quel regard portez-vous sur l’«après» printemps arabe? Quelle est la limite entre la liberté des peuples et la lutte contre une certaine forme d’islamisme?
– J’ai soutenu dans tous mes articles dès le départ – et j’étais peut-être même parmi les premières journalistes en France – ce qui se passait en Tunisie et en Egypte. Tout en sachant pertinemment puisque je travaille sur les frères musulmans depuis très longtemps qu’ils avaient de grandes chances de prendre la suite. Et je n’ai aucun regret parce que nous étions dans une situation impossible où les démocrates laïques étaient pris entre deux feux: les autoritaires d’un côté et les islamistes de l’autre. Et les islamistes avaient systématiquement l’air d’être la seule alternative possible. Peut-être que ça prendra plusieurs générations mais aujourd’hui il y a au moins un espoir qu’il existe un camp de ceux qui croient à un islam spirituel traditionnel ou laïque – ou carrément qu’ils soient athées de culture musulmane – et qui veulent un cadre plus sécularisé et ceux qui veulent l’islam politique au pouvoir. Les frères musulmans sont passés de mouvement social et de parti politique déguisé à un parti politique officiel. Maintenant qu’ils assument. Et ils sont en train de montrer leur vrai visage. On m’a expliqué par A plus B depuis 2004 – donc depuis que je travaille sur Tariq Ramadan, sur Hassan al-Banna et Hani Ramadan – que ces gens-là étaient l’équivalent des chrétiens démocrates. Maintenant qu’ils sont au pouvoir en Egypte, tous ceux qui m’ont expliqué ça il y a quelques années s’en mordent les doigts et me disent: c’est toi qui avais raison. Il suffisait d’étudier leurs textes pour comprendre que le mouvement des frères musulmans est un mouvement profondément totalitaire. Qui n’aspire qu’à une chose – et c’est leur slogan alors on pourrait quand même leur faire confiance là-dessus: le Coran est notre constitution.
 
«Quand j’entends la leader des Indigènes de la république nous expliquer que si les homosexuels de banlieue assument leur homosexualité comme une identité fière et ouverte ils importent le colonialisme et le mode de vie occidental blanc… j’ai juste envie de vomir!»
 
Quand vous pensez que la loi des hommes doit se baser sur la loi divine, il n’y a pas de place pour les minorités sexuelles. Il n’y a pas de place pour la liberté des femmes. C’est toujours des régressions. Moi je suis, comme je l’ai toujours été, en solidarité avec des démocrates laïques de Tunisie, d’Egypte, d’Algérie et du Maroc qui vivent des situations très différentes car je ne suis pas différentialiste. C’est peutêtre ce qui me sépare de ceux qui m’attaquent comme Didier Lestrade ou de quelques personnes minoritaires au sein du milieu homo. Je suis universaliste. Je crois que les droits des femmes et des hommes c’est valable pour tous dans tous les pays. Que la liberté et l’égalité ne se tronçonnent pas. Il n’y a pas des homos qui, dans les pays musulmans, aiment se faire pourchasser et enfermer et des homos qui en Europe auraient le droit à être respecté. Quand j’entends la leader des Indigènes de la république Houria Bouteldja dénoncer l’impérialisme gay; nous expliquer qu’il n’y a pas de vrais homosexuels en banlieue ou qu’ils doivent se faire discrets car s’ils assument leur homosexualité comme une identité fière et ouverte ils importent le colonialisme et le mode de vie occidental blanc… J’ai juste envie de vomir! Ce différentialisme mène toujours à la soumission, à l’intimidation et à la guerre entre les minorités. Je pense profondément que le communautarisme mène à la guerre entre les minorités tandis que l’universalisme nous unit face au processus de domination dont la domination masculine est évidemment la mère de toute les dominations.
 
– Caroline Fourest vous avez l’image d’une femme très sérieuse, très combative. Qu’est-ce qui vous fait rire?
– Mes amis. Je suis entourée de gens qui sont soit humoristes soit d’immenses déconneurs. Je me suis régalée quand j’étais à «Charlie Hebdo». Ce sont restés des amis. J’en ai d’autres qui sont dans le spectacle et dans la culture. Dès que je ne suis pas en train de travailler, j’ai hyper besoin de l’humour. De prendre des vacances, de faire des pauses, de regarder des séries débiles à la télévision et des émissions de décoration; pour oublier que ce monde est encore peuplé de gens qui veulent absolument faire reculer les libertés et l’égalité. Et oui je le fais évidemment sans me forcer et en plus c’est une gymnastique, une hygiène absolument indispensable quand on travaille sur ces sujets. Ne vous inquiétez pas, je suis mon régime en terme de respiration mentale à la lettre.
 
Pour suivre toute l’actualité de Caroline Fourest rendez-vous sur son blog: carolinefourest.wordpress.com