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 d’ADHEOS

Les lesbiennes ne font plus peur. Depuis “La Vie d’Adèle”, Palme d’or 2013 vue par un million de spectateurs, leurs amours se libèrent (enfin) à l’écran. “La Belle Saison” de Catherine Corsini en est un nouvel exemple, en attendant “Carol” de Todd Haynes.
 
Une actrice vedette — Cécile de France — dans un film d’amour lesbien à vocation populaire : La Belle Saison, de Catherine Corsini, témoigne d’un changement réjouissant dans le cinéma français. L’année même où la star internationale Cate Blanchett éblouit le Festival de Cannes dans un rôle totalement homosexuel — Carol, de Todd Haynes, qui sor­tira en janvier 2016. Enfin, les lesbiennes ne font plus peur aux célébrités, ni aux producteurs. Il y a deux ans, quand La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, est sorti, Léa Seydoux n’était pas aussi connue qu’aujourd’hui… Et, auparavant, les histoires torrides entre femmes n’ont jamais encombré le grand écran. Ni en France ni ailleurs. L’homosexualité masculine a, depuis Le Secret de Brokeback Mountain, d’Ang Lee (2005), au moins une représentation hollywoodienne connue et reconnue dans le monde entier, fût-elle mélodramatique. L’homosexualité féminine, pas encore. Pas vraiment.
 
Cette rareté surprend d’autant plus que le tabou n’en est pas tout à fait un. Deux filles qui s’embrassent à pleine bouche, voilà une image souvent considérée comme agréable, et spécialement par les spectateurs masculins. L’amour lesbien au cinéma, c’était donc plutôt en passant, pour le plaisir des hommes. Les contre-exemples marquants, à teneur féministe, se comptent sur les doigts d’une main depuis La Rumeur, de William Wyler (1961), tragédie absolue de l’empêchement. Citons Bound, le thriller sophistiqué des Wachowski, avec couple de braqueuses, en 1996 ; Mulholland Drive, le chef-d’oeuvre tortueux de David Lynch (en 2001), love story labyrinthique entre deux starlettes — deux films où l’homosexualité est montrée mais pas nommée. Puis, en mineur, la comédie sur l’homoparentalité Tout va bien ! (The kids are all right), de Lisa Cholodenko, en 2010.
 
La télé (américaine) a opéré une révolution copernicienne avec les six saisons de la série The L Word (à partir de 2004), tournant entièrement autour d’un groupe de lesbiennes de Los Angeles. Puis Orange is the new black (depuis 2013) a croisé avec brio le thème de la prison avec celui des amours saphiques. Mais, comme leurs équivalents masculins Queer as folk et Looking, ces séries s’adressent d’abord aux communautés qu’elles décrivent. En ce sens, La Belle Saison et Carol, destinés, cette fois, à tout le monde, constituent bel et bien un tournant. Avec un paradoxe : ces deux films de cinéma nous replongent dans le passé. Que ce soit les années 1970 chez Catherine Corsini ou les années 1950 chez Todd Haynes, les héroïnes sont en butte aux préjugés, à la haine, ou en lutte contre leurs propres interdits. Comme dans Le Secret de Brokeback Mountain, la mise en lumière de l’homosexualité passe par le rappel des souffrances endurées en des temps moins tolérants.
 
C’est pourquoi La Vie d’Adèle reste un maillon indispensable dans l’histoire du lesbianisme à l’écran. Le film de Kechiche, Palme d’or à Cannes en 2013, a fait couler beaucoup d’encre et suscité de multiples polémiques. Il a aussi divisé le public lesbien, avec ses scènes de sexe crues et longues, filmées par un homme. Mais il confronte l’amour entre filles à maintes questions brûlantes, outre celle de l’homophobie : les classes sociales, l’éducation, la culture, la recherche épineuse d’une place dans le monde d’aujourd’hui. Vu par un million de spectateurs, l’année où le mariage pour tous a été voté, il a provoqué un déclic, jusque dans l’industrie du cinéma, du moins en France. Pour que s’ouvre à l’écran une nouvelle saison lesbienne, au style vintage, il fallait sans doute, d’abord, ce film choc, frontal et contemporain.