Ce Canadien raconte à TÊTU la naissance et les aspirations d’Arc-en-Ciel d’Afrique, et les difficultés des Noirs LGBT à assumer leur homosexualité, sur le continent africain, mais aussi dans les pays où ils ont émigré
L’isolement, le rejet de soi. Alexis Musanganya en a souffert dans son Rwanda natal lorsqu’on lui a dit que l’homosexualité, c’était un truc de Blanc. Exilé au Canada, il a réalisé qu’il avait vécu dans le mensonge, mais que les homos de la diaspora africaine peinaient à s’assumer. D’où la création, en 2002, d’Arc-en-ciel d’Afrique, forte de 300 membres. Pour son travail, le militant de 36 ans a reçu en février 2009 le prix «Queering Black History» de l’organisation LGBT Egale Canada.
TÊTU: Comment êtes-vous devenu le premier Québécois d’origine africaine à mener ce combat?
Alexis Musanganya: Quand je suis arrivé, dans les années 1990, il y avait peu de gays Noirs. Ils étaient seuls et savaient que d’autres Noirs LGBT continuaient à se cacher, à vivre une double vie pour plaire à leur communauté. Les gays et lesbiennes que j’avais rencontrés lors de mon retour en Afrique en 2002 et 2004 (Sénégal et Cameroun) m’ont encore une fois permis de réaliser à quel point j’étais chanceux d’être au Québec parce que j’étais protégé par la loi. Il fallait que les gays africains du Québec puissent aussi réaliser leur chance et arrêter de se morfondre.
Quels sont ses objectifs d’Arc-en-ciel d’Afrique?
Mobiliser des LGBT d’origine africaine et caribéenne au Québec, briser l’isolement et encourager les échanges positifs au-delà de ce que l’on peut avoir dans les bars ou sur les sites de rencontres. Et combattre l’homophobie dans les communautés noires: si nous sommes nombreux à être de plus en plus visibles, elles réaliseront que les clichés sur les homosexuels sont très faux.
Avez-vous le sentiment que les gays africains s’assument plus au Canada qu’au pays?
Curieusement, non. J’ai l’impression qu’en Afrique l’homosexualité devient de plus en plus d’actualité. Il y a des regroupements et associations de plus en plus forts, les médias parlent de l’homosexualité. Cela fait que, qu’on soit pour ou contre, on se prononce dessus, on se questionne et on avance. Mais les Africains du Canada connaissent une certaine stagnation concernant l’homosexualité. C’est pourquoi les LGBT africains qui arrivent ici sont souvent contraints de retourner dans le placard afin de recevoir une assistance immédiate de leur communauté: une question de survie quand on arrive sur une terre étrangère.
Vous voulez montrer aux gays d’Afrique qu’ils peuvent vivre leur homosexualité sans s’exiler. Mais vous êtes parti, et deux-tiers des pays africains condamnent cette orientation sexuelle…
Je me croyais le seul gay sur le continent africain, le seul gay noir au monde. J’ai dû sortir du continent pour comprendre que c’était faux. J’aurais aimé le comprendre avant, et c’est ce que je souhaite aux gays qui sont encore en Afrique. La France, le Canada, les USA ont criminalisé l’homosexualité pendant longtemps. Les gays et lesbiennes de ces pays ont dû se battre pour changer les choses chez eux et ils n’ont pas eu besoin de sortir pour ça. Je crois beaucoup au changement initié de l’intérieur. S’il y a un soutien qu’on peut apporter aux groupes qui œuvrent au changement, nous n’hésiterons jamais. Entre temps, j’ai encore 200 000 Africains et Caribéens du Québec auprès de qui le travail n’est pas encore achevé.