NEWS
Les actualités
 d’ADHEOS

Les débats sur le mariage gay en Occident ont raidi le continent africain. Le Nigeria a criminalisé l’homosexualité tandis que l’Ouganda a durci sa loi. Une grande voix, l’écrivaine nigériane Chimamanda Adichie, déconstruit cette homophobie aux accents populistes.
 
Je vais l’appeler Sochukwuma. Ce garçon maigre, souriant, aimait jouer avec nous, les filles de l’école primaire de Nsukka [ville au Sud-Est]. Nous étions jeunes. Nous savions qu’il était différent. Nous disions : “Il n’est pas comme les autres garçons.” Mais sa différence était anodine et n’appelait aucun commentaire. C’était comme ça, tout simplement. Nous n’avions pas de nom pour cela. Nous ne connaissions pas le mot “gay”. Sochukwuma était gentil et il jouait si bien à l’oga [jeu de jeune fille] que son équipe gagnait tout le temps.
 
A l’école secondaire, certains garçons de sa classe ont essayé de jeter Sochukwuma du balcon du deuxième étage. C’étaient des adolescents costauds qui avaient appris à reconnaître, et à craindre, la différence. Ils avaient un nom pour le désigner. Homo. Ils se moquaient de lui parce qu’il chaloupait des hanches en marchant et qu’il avait des gestes maniérés. Il subissait les railleries en silence, répondant parfois par un sourire gêné. Si seulement il avait pu être comme les autres garçons voulaient qu’il soit. J’imagine combien il a dû se sentir seul et désarmé. Les garçons se demandaient souvent : “Pourquoi est-ce qu’il n’est pas comme tout le monde ?”
Parmi les réponses à cette question, il y aurait eu notamment : “Parce qu’il est anormal”, “parce que c’est un pécheur”, “parce qu’il a choisi ce mode de vie”. Mais la vraie réponse, c’est : “Personne ne le sait.” Nous ne comprenons pas tout, il faut savoir le reconnaître humblement, en toute humanité. A 8 ans, Sochukwuma était manifestement différent. Ce n’était pas sexuel, c’était encore trop tôt pour ça, mais cela concernait l’image qu’il avait de lui-même et qu’il renvoyait aux autres. Bref, il était différent. Il n’aurait pas pu “choisir ce mode de vie”, il était trop jeune pour le faire. Et pourquoi aurait-il choisi d’être gay dans un monde qui rend la vie si difficile aux homosexuels ? D’ailleurs, pourquoi quiconque aurait-il fait un tel choix ?
 
La marque d’une vraie démocratie, c’est la protection des minorités
 
La nouvelle loi qui érige en crime l’homosexualité est très appréciée des Nigérians. Mais c’est un constat d’échec pour notre démocratie, car la marque d’une vraie démocratie n’est pas le règne de la majorité, mais la protection des minorités. En outre, cette loi est anticonstitutionnelle et ambiguë. On peut par ailleurs se demander en quoi elle était prioritaire dans un pays accablé de tant problèmes. Mais par-dessus tout, il s’agit d’une loi injuste. Même si nous ne vivions pas dans un pays où l’alimentation électrique est épouvantable, où les diplômés de l’université savent à peine lire, où l’on meurt de maladies faciles à traiter et où les islamistes de Boko Haram massacrent des lycéens, cette loi n’en serait pas moins injuste.
 
Nous ne pouvons pas être une société juste si nous ne sommes pas capables d’accepter de petites différences, de faire preuve de tolérance. Nous pouvons ne pas comprendre l’homosexualité, nous pouvons la trouver exécrable à titre personnel, mais notre réaction ne peut pas être d’en faire un crime.
 
Un crime fait des victimes. Un crime nuit à la société. En quoi l’homosexualité peut-elle être considérée comme un crime ? Des adultes ne nuisent pas à la société par la manière dont ils s’aiment. Voilà une loi qui non seulement n’évitera aucun crime, mais qui bien au contraire va engendrer des actes de violence : il y a déjà, ici ou là au Nigeria, des agressions contre des gens “soupçonnés” d’être gays. Dans notre société, les hommes sont très affectueux les uns envers les autres. Ils se tiennent par la main. Ils se serrent dans les bras. Allons-nous maintenant arrêter deux amis qui partagent une chambre d’hôtel ou qui marchent côte à côte ?
 
De nombreux Nigérians sont favorables à la loi parce qu’ils croient que la Bible condamne l’homosexualité. La Bible peut fournir des règles de vie individuelle, mais en aucun cas elle ne doit être une source de droit : non seulement parce que les livres saints des différentes religions n’ont pas la même portée pour tous les Nigérians, mais aussi parce que les livres saints sont lus différemment par différentes personnes. Ainsi, la Bible condamne également la fornication, l’adultère et le divorce, et pourtant ce ne sont pas des crimes. Pour ceux qui soutiennent la loi, l’homosexualité constitue une catégorie à part, en ce sens qu’elle n’est pas “normale”.