M. Dominique BAUDIS Défenseur des droits
7 rue Florentin
75409 PARIS cedex 08
Objet : Saisine du Défenseur Des Droits
PJ : lettre au Président de la République du 5 juillet 2013
Monsieur le Défenseur des droits,
Vous trouverez, ci-joint, une lettre que nous avons écrite à Monsieur le Président de la République pour attirer son attention sur les difficultés soulevées par l’application de la circulaire du ministère de la justice en date du 29 mai 2013, traitant de la présentation de la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, en ce qui concerne des mariages entre citoyens français et ressortissants de certains pays étrangers.
Comme l’explique la circulaire de présentation de la loi, datée du 29 mai et signée par Christiane Taubira :
« Cette disposition permet d’écarter la loi personnelle, et de célébrer le mariage entre personnes du même sexe, dès lors que l’un des futurs époux est français ou a sa résidence en France. »
Mais cette disposition se heurte aux pays liés à la France par une convention bilatérale, stipulant expressément que les conditions de fond du mariage sont celles, pour chacun des futurs époux, de la loi de leur pays respectif.
Onze pays ont signé ladite convention :
• le Maroc ;
• l’Algérie ;
• la Tunisie ;
• le Laos ;
• le Cambodge ;
• la Pologne ;
• la Serbie ;
• le Kosovo ;
• la Bosnie-Herzégovine ;
• la Slovénie ;
• et le Monténégro (ces cinq derniers au titre de l’ancienne convention franco-yougoslave).
Cette situation est préjudiciable à de nombreux couples binationaux de même sexe, qui nous saisissent régulièrement depuis.
ADHEOS estime que l’application de cette circulaire crée de fait des situations discriminantes. Un exemple caractéristique des problèmes de discriminations qui peuvent survenir, nous est donné par M. Hugues Fulchiron, professeur à l’université Jean Moulin Lyon III et directeur du centre de droit de la famille :
« Soit par exemple un Français qui veut épouser un Algérien, ou deux Tunisiennes résidant en France qui souhaitent s’y marier : leur opposera-t-on un refus en invoquant les engagements internationaux de la France, alors que deux Egyptiennes résidant en France (en l’absence de convention) ou un couple franco-marocain (en vertu de l’exception d’ordre public prévue par la convention) pourront convoler en justes noces ? ».
Pour savoir si l’on peut déroger aux conventions internationales qui nous lient aux onze pays étrangers en cause, nous nous référons aux analyses de M. Mathias Audit, professeur de droit international à l’université de Nanterre, Celui-ci reconnait que « Ces conventions internationales sont situées au-dessus de la loi nationale dans la hiérarchie des normes. Elles doivent forcément s’appliquer. ». Faut-il en déduire que tout mariage de couple de même sexe entre un Français et un ressortissant d’un des onze pays précités est impossible ?
Le professeur Audit ne le pense pas et donne deux pistes de réflexion :
– la première concerne les pays avec lesquels la convention qui nous lie comporte une clause d’ordre public (Maroc, par exemple). Dans ce cas, « Si le juge estime que la convention ou l’une de ses dispositions est contraire aux principes fondamentaux régissant le droit français, il peut décider de ne pas appliquer cette convention. ». Le juge pourrait s’appuyer sur le fait qu’il existe un principe, en droit français, de non-discrimination liée à l’orientation sexuelle et l’appliquer.
La convention de 1981 liant la France au Maroc, par exemple, comporte une telle clause. La jurisprudence française l’a déjà appliquée en droit de la famille, concernant des mariages interconfessionnels, interdits dans le royaume, ou pour des répudiations. Le juge français estime qu’il y a violation du principe de non-discrimination en raison de la religion, et il a fait de même pour la Tunisie et l’Algérie. On peut imaginer que le principe de non-discrimination en raison de l’orientation sexuelle pourrait jouer un rôle similaire.
– la seconde concerne les pays où une telle clause n’existe pas. Le professeur Audit estime que le seul moyen possible est de dénoncer la convention ou de ne pas la renouveler.
Aussi, pour ADHEOS, quand on se souvient que le fondement retenu pour ouvrir le mariage aux personnes de même sexe est l’égalité entre les couples et le refus des discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, l’exception formulée à l’article 202-1 du code civil sera bien difficile à justifier.
Pour ADHEOS, ou bien l’on assure le respect de tous les droits étrangers qui restent fidèles à la conception « traditionnelle » du mariage – quitte à le moduler selon l’intensité des liens qui rattachent la situation au pays en question – ou bien on impose à tous les valeurs que l’on a jugées nécessaire de traduire dans les textes internes.
Connaissant l’efficacité du Défenseur Des Droits sur les questions de discriminations, nous espérons pouvoir compter à nouveau sur votre positionnement éclairé à l’occasion de cette saisine.
Restant à votre disposition pour tous renseignements complémentaires, nous vous prions de croire, Monsieur le Défenseur des droits, à notre respectueuse considération.
Le président d’ADHEOS,
FREDERIC HAY