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 d’ADHEOS

Plus de 120 homosexuels ont été arrêtés en 2018, un record. Mounir Baatour, avocat et président de Shams, association de défense des droits LGBT, milite pour la dépénalisation de l’homosexualité.
 
Dans son petit bureau aux volets fermés, l’avocat Mounir Baatour ne cache pas sa colère. Une froide colère, étayée par les nombreux cas de Tunisiens arrêtés et condamnés car supposés homosexuels. Mi-décembre, un homme a été violemment tabassé dans le gouvernorat de Monastir. Une fois en justice, lorsque le juge a appris que l’homme était homosexuel, il a relaxé l’un des agresseurs. Et condamné au sursis l’autre. La victime, 50 points de suture, a ensuite subi un sermon mélange de conservatisme et de religion.
 
Plus tôt, c’est un infirmier victime d’un viol. Il porte plainte à la police. Il est condamné, son agresseur innocenté. Et il perd son travail. Mounir Baatour reçoit « chaque semaine des témoignages de gens rackettés, tabassés, torturés à cause de leur orientation sexuelle ». Et il « leur conseille de ne pas porter plainte, sinon ils vont être condamnés ». L’article 230 du Code pénal tunisien condamne l’homosexualité à « trois ans d’emprisonnement », un article qui date de 1913.
 
Le Point Afrique : Pourquoi les arrestations se multiplient-elles ?
 
Mounir Baatour : C’est nouveau. J’ai l’impression que la médiatisation des arrestations d’homosexuels les dérange beaucoup, car les médias étrangers en parlent beaucoup. Ce n’est pas bon pour l’image. Parfois, au lieu de les arrêter, on donne carte blanche à la police pour leur casser la gueule. J’ai l’impression qu’il y a des consignes du ministère de l’Intérieur pour « nettoyer » le centre-ville de Tunis. Chaque personne qui a l’air trop efféminé – piercing, jean serré, sourcils épilés, autant de signes jugés ostentatoires d’une homosexualité – en subit les conséquences.
 
Et, comme vous n’êtes pas un citoyen comme les autres, vous ne pouvez pas porter plainte contre les violences policières. Nous sommes des citoyens sans droits. Criminaliserquelqu’un pour son identité sexuelle, cela relève du Moyen Âge. La loi tunisienne ne condamne pas les homosexuels à trois ans d’emprisonnement, mais à perpétuité. Quand un homosexuel passe trois ans en prison, quand il sort, est-ce qu’il devient hétéro ? Il reste homo, car ce n’est pas la prison qui va changer son orientation sexuelle. Il va revenir en prison pour trois ans et ainsi de suite toute sa vie.
 
De quand l’article 230 du Code pénal qui criminalise l’homosexualité date-t-il ?
 
Il a été instauré par la France en 1913. L’article n’a jamais été remis en question. Il punit l’homosexualité masculine et féminine. Il punit tout rapport « non reproductif ». Une fellation, c’est de la sodomie. L’interprétation est très large. Ce n’est pas seulement la pénétration anale. La justice tunisienne englobe toutes les formes d’homosexualité. Six jeunes ont été arrêtés à Kairouan parce qu’on a trouvé des vêtements féminins chez eux. Ils ont été condamnés sur la base de vidéos homos trouvées dans leurs PC. Moi, je les connais tous, ils sont homosexuels passifs.
 
Le médecin légiste qui a pratiqué sur eux le test anal par la force, menottés, obligés à se prosterner par deux policiers, affirme qu’il a trouvé des « traces de pédérastie chronique » car il a constaté « une dilatation de l’anus ». La personne n’est pas propriétaire de son corps en Tunisie, l’Etat lui dit ce qu’elle peut ou ne peut pas faire de son corps. Les principes du respect de l’intégrité physique, de l’inviolabilité de la personne humaine, de son domicile, de ses données personnelles, principes consacrés par la nouvelle Constitution, tous ces principes sont bafoués quotidiennement en Tunisie. Après, les dirigeants vont parler de démocratie naissante dans les médias étrangers ! Quelle démocratie ? C’est une vitrine que le gouvernement utilise. Aucun droit consacré par la Constitution de 2014 n’est respecté en pratique.
 
Que dit la Constitution ?
 
D’un côté, elle dit que l’État protège le sacré, interdit de traiter quelqu’un d’impie, protège la liberté de culte mais aussi la liberté de conscience. Dans son article 1, la religion de l’État est l’islam, ce que je ne comprends pas, je n’ai jamais vu un État qui fait la prière, jeûne pendant le ramadan ou effectue le pèlerinage. Un État est une personne morale qui ne peut pas avoir de religion. L’article 2 explique que c’est un État civil. Quand on dit qu’il faut appliquer la loi écrite par les hommes, par un parlement, ils nous répondent : « C’est aussi un État musulman, il faut appliquer la loi de Dieu. » Quand on parle de l’article 6, la liberté de conscience, ils disent que « l’Etat doit protéger le sacré ». C’est un texte fourre-tout, un compromis bâtard entre islamistes et progressistes.
 
La Colibe, la commission mise en place par le président de la République, ne demande pas l’abolition de l’article 230…
 
Des membres de cette commission expliquent qu’il y a une opposition farouche des députés à ce sujet, qu’il n’y aurait que 2 députés sur 217 favorables à la décriminalisation de l’homosexualité. La Colibe a été instaurée par le président de la République le 13 août 2017. Pour plaire à l’opinion musulmo-arabe du Machrek, il avait dit, depuis l’Égypte, que, de son vivant, il n’y aurait pas d’abrogation de l’article 230. On sait ce qui se passe en Égypte : les centaines d’arrestations chaque année, les condamnations très lourdes à douze ans d’emprisonnement…
 
Que demandez-vous exactement ?
 
En tant qu’association Shams, notre plafond, c’est la dépénalisation de l’homosexualité. On ne veut pas pénaliser l’homophobie, sinon 99 % des Tunisiens seraient en prison, on ne veut pas de mariage gay, on veut simplement que les personnes homosexuelles n’aillent pas en prison et qu’on arrête de leur tripoter l’anus avec ce test anal qui n’a aucune valeur scientifique, inventé au XIXe siècle par un médecin français. Tous les pays du monde ne pratiquent plus ce test, à part les pays arriérés comme l’Égypte, le Kenya, la Tanzanie, la Tunisie… Des pays qui ont un siècle de retard sur l’humanité. Le comité de l’ONU contre la torture considère ce test comme un acte de torture physique et psychologique.
 
La Tunisie a été condamnée trois fois : par le Conseil de l’Europe en 2017, par l’ONU, puis par l’Association mondiale des médecins. Le 22 septembre 2017, la Tunisie, via son ministre Mehdi Ben Gharbia, se rend devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Ben Gharbia dit : « On s’engage à ne plus pratiquer le test anal forcé. » Regardez bien la nuance. Est-ce qu’une personne en garde à vue a la latitude de refuser ce « test anal » face à une police moyenâgeuse ? Si la personne dit non, elle se fait tabasser. Nous avons des centaines de récits sur ce que disent les policiers quand ils arrêtent un homosexuel : « Vous allez nous apporter le déluge… » Des croyances mythiques. Ils pensent que, quand deux homosexuels font l’amour, « le trône de Dieu tremble ». Le juge considère dans de nombreux cas que le refus du test est une présomption de culpabilité.
 
Quelle est l’histoire des homosexuels en Tunisie ?
 
Sous Ben Ali, il y avait moins de persécutions. On en arrêtait quelques-uns, mais l’objectif était de lutter contre le tourisme sexuel. À partir de la révolution, avec l’arrivée des islamistes au pouvoir – la troïka en 2011, l’alliance entre Nidaa Tounes et Ennahdha en 2014 –, ça a changé. En parallèle, on a assisté à la création des associations LGBT. Qu’elles commencent à s’exprimer, à réclamer des droits pour eux, c’est une aberration ! « Vous êtes une honte pour la nation, pour vos familles. » Que la voix des homosexuels s’exprime dans les médias a accru notre visibilité et la répression. C’est la dîme à payer à notre liberté.
 
Comment faire évoluer les mentalités ?
 
On compte beaucoup sur l’élite francophone éclairée en Tunisie. Les artistes, les islamologues, comme Youssef Seddik, Olfa Youssef, qui portent une voix discordante sur ce sujet, qui offrent des arguments pour combattre l’homophobie ambiante. Nous, on ne se taira plus. Que va-t-on nous faire ? Nous mettre en prison ? C’est déjà le cas. On a un grand espoir dans la future Cour constitutionnelle. On l’attend, car ça fait quatre ans qu’elle n’a pas été instaurée.
 
Nous considérons que l’article 230 est anticonstitutionnel, qu’il instaure une discrimination flagrante entre les citoyens, qu’il porte atteinte à la vie privée, au principe de l’inviolabilité de la personne humaine, du domicile. La société tunisienne est conservatrice et patriarcale. Le débat religieux ne nous intéresse pas, il n’y a que le droit positif qui nous concerne. Les droits de l’homme dans leurs dimensions universelles, sur le modèle des démocraties libérales qui ont réussi en Occident, au Japon, en Corée du Sud. Nous, on veut l’application du droit. Le droit est fait par l’homme, pas par Dieu.