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 d’ADHEOS

C’est fait. Après sept mois de débats intenses, la France devait devenir, avec le vote solennel du mardi 23 avril, à l’Assemblée nationale, le 14e pays au monde à autoriser deux personnes de même sexe à se marier.
Le texte sur le mariage et l’adoption pour tous n’entrera pas en vigueur immédiatement. Le Conseil constitutionnel devra se prononcer sur sa conformité, puis la loi être promulguée. La journée est néanmoins historique, dans la lignée du 4 août 1982, qui vit la suppression du délit d’homosexualité avec un mineur de plus de 15 ans, sur proposition du ministre de la justice, Robert Badinter. La représentation nationale avait ce jour-là abrogé l’"ultime survivance, dans notre droit, de la très ancienne mise hors la loi de l’homosexualité, qui a disparu après la Révolution", rappelait alors M. Badinter.
 
La loi sur le mariage et l’adoption marque une nouvelle étape dans la banalisation d’une orientation sexuelle, autrefois jugée contre-nature, aujourd’hui reconnue "autre mais normale", selon l’expression de l’anthropologue Maurice Godelier. Elle est toujours réprimée dans 80 pays, dont 7 la punissent de mort. La mesure restera certainement comme l’une des plus marquantes du bilan de François Hollande.
 
En inscrivant la promesse numéro 31 dans ses 60 engagements de campagne, le futur président de la République se doutait-il que le sujet ferait couler tant d’encre et jetterait des centaines de milliers de personnes dans la rue ? Ce n’est pas certain. Car, sondage après sondage, les Français manifestent une familiarité de plus en plus grande avec l’homosexualité. Selon une enquête IFOP publiée dans Le Monde le 8 novembre 2012, 87 % des Français pensent qu’il s’agit "d’une manière comme une autre de vivre sa sexualité", contre 54 % en 1986. Le soutien au mariage s’est stabilisé autour de 65 % d’opinions favorables.
 
TECHNICISATION DE LA CONCEPTION
 
Ce que la nouvelle majorité n’avait sans doute pas anticipé, c’est le trouble provoqué par la reconnaissance de l’homoparentalité induite par l’ouverture de l’adoption. Et encore moins la tempête déclenchée par la volonté du groupe socialiste de l’Assemblée nationale d’introduire l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de lesbiennes dans la loi, comme François Hollande l’avait promis pendant la campagne. Que deux adultes de même sexe convolent devant le maire ne choque plus grand monde. Que des enfants aient deux pères et deux mères, c’est difficilement concevable pour une plus grande partie de la population.
 
L’intensité de l’affrontement a parfois pu sembler démesurée rapportée au nombre de personnes concernées : il y a 100 000 couples de même sexe en France, soit 0,6 % du total des couples, et entre 24 000 et 40 000 enfants élevés dans des familles homoparentales. C’est que l’enjeu les dépasse largement. Contrairement à ce qu’affirment les slogans de La Manif pour tous, ce n’est pas la question de la reconnaissance d’un "droit à l’enfant" pour les homosexuels qui est en jeu. Les homosexuels s’organisent pour avoir des enfants, la loi ne fait qu’entériner cette réalité. Ce sont deux visions de la famille qui s’affrontent, autour d’un enjeu qui concernera de plus en plus tous les couples, hétérosexuels comme homosexuels : la technicisation de la conception. Le débat fait ressurgir des questions qui se sont déjà posées au moment des premières procréations médicalement assistées, il y a trente ans.
 
Les mêmes camps continuent de s’opposer. D’un côté, ceux qui souhaitent que les familles restent les plus conformes possibles, au moins en apparence, au modèle biologique, "naturel" – un père, une mère, des enfants –, qui est aussi celui promu par la religion. De l’autre, ceux qui estiment que l’espèce humaine peut utiliser son savoir-faire technique (procréation médicalement assistée mais aussi contraception) pour se libérer des contraintes de son animalité et inventer de nouvelles formes de famille, qui peuvent être déconnectées de la biologie.
 
Un modèle de famille rend-il les enfants plus heureux ou malheureux que l’autre ? Il ne s’agit pas ici de refaire le débat qui agite depuis des mois psychanalystes, sociologues, militants, politiques – ainsi que chaque Français, car le sujet touche à la fois à l’intime et à la vision que chacun se fait de la société. Constatons seulement que le gouvernement n’a pas osé trancher ce débat.
 
SYSTÈME EN TROMPE-L’OEIL
 
Il lui était impossible de légaliser uniquement le mariage, qui en France ouvre automatiquement le droit à l’adoption. Les homosexuels l’auraient en outre contesté. Car c’est bien à la reconnaissance officielle de liens de filiation qu’ils aspirent, sans doute davantage qu’à l’institution du mariage elle-même – même si le symbole de l’égalité est important. Ce qui explique l’apparent paradoxe de voir une institution en perte de vitesse au centre de telles empoignades. Mais les adoptions plénières par des couples homosexuels seront très peu nombreuses. La véritable avancée du texte pour les couples homosexuels sera la possibilité, après leur mariage, d’adopter l’enfant de leur conjoint. Disposition qui permettra essentiellement de régulariser la situation d’enfants conçus par procréation médicalement assistée… en Belgique ou en Espagne. La France se dote donc d’un système en trompe-l’oeil si elle en reste là.
 
C’est peu dire que le sujet de la PMA va continuer à embarrasser le gouvernement. Les hésitations et contradictions internes à la gauche sur le sujet ont installé une confusion qui perdure. Le gouvernement n’a trouvé pour l’instant qu’un artifice pour sortir de ce piège : s’en remettre à l’avis (consultatif) du Comité consultatif national d’éthique, après des états généraux… qui ne sont pas encore programmés. La future loi sur la famille est remise à des jours meilleurs. Mais le groupe socialiste reviendra à coup sûr à la charge. Et les antimariage gay ont d’ores et déjà promis qu’ils se mobiliseraient si elle vient à voir le jour. Promesse d’un nouveau round après des mois d’affrontements ?
 
Ce débat a-t-il déjà trop duré ? On a pu le penser, quand, ces dernières semaines, l’homophobie est revenue en force. Des violences physiques ont eu lieu, donnant le sentiment d’un terrible retour en arrière. Difficile pourtant de faire ce reproche au gouvernement. S’il avait encore accéléré le tempo, l’opposition aurait à juste titre dénoncé un passage en force. Les opposants sauront-ils maintenant accepter le vote du Parlement ? Les homosexuels commencent à redouter que les premiers mariages, qui pourraient avoir lieu entre la mi-juin et la mi-juillet, ne soient pas aussi festifs que prévu.