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 d’ADHEOS

Le sociologue Arnaud Alessandrin a écrit une thèse et codirigé une « transyclopédie ». Son propos : fini le transsexualisme, place aux transidentités
 
Dans le sigle LGBT (« lesbien, gay, bisexuel et trans »), le « t » reste le parent pauvre, la population la plus marginale. Mais aussi la plus mal définie, ballottée entre sexe et genre, revendications militantes, prescriptions médicales et hésitations du législateur… C’est en tout cas ce que relève Arnaud Alessandrin, 28 ans, chercheur en sociologie à Bordeaux 2, rattaché au centre Émile-Durkheim, qui a récemment soutenu une thèse sur le sujet (1). Il est aussi auteur d’une « Transyclopédie », ouvrage collectif édité le mois dernier, exploration scientifique, militante, et éclectique, de la galaxie trans. Interview. 
 
Peut-on chiffrer le nombre de personnes transsexuelles en France ?
  
Le transsexualisme est très récent : il a été défini en France en 1953, par Harry Benjamin. Défini par une souffrance qui nécessitait de passer d’un sexe à l’autre par le biais d’une réassignation chirurgicale et d’un diagnostic psychiatrique préalable. On estime aujourd’hui que ce transsexualisme – c’est-à-dire des personnes réassignées dans le protocole français – concerne quelques centaines de personnes par an, dans quelques centres comme Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux [NDLR : centre François-Xavier-Michelet, au CHU]. Mais le transsexualisme, ce n’est pas que des gens opérés, qui souffrent ou qui acceptent la psychiatrisation. C’est pour cela qu’il me semble important de parler de l’ensemble des transidentités : ceux qui décident de se faire opérer à l’étranger, de prendre des hormones ou de se travestir, sans forcément subir une opération (2). Et si on doit compter tous ceux qui décident à un moment ou un autre de changer de genre ou de sexe, on dépasse très probablement les 10 000 personnes. 
 
Comment définissez-vous ici « sexe » et « genre » ?
 
Le sexe, c’est ce qu’on nous assigne arbitrairement à la naissance en fonction de notre anatomie et, le genre, c’est ce qu’on en fait en termes de masculinité et de féminité. Si on en dit plus, en général, on se trompe…
 
Votre thèse affirme que le transsexualisme est une catégorie dépassée, « obsolète ».
 
C’est ce que j’ai postulé. Aujourd’hui, des personnes peuvent changer de genre sans se faire opérer. Elles peuvent se dire homme ou femme indépendamment de ce qu’elles ont entre les jambes. Donc le transsexualisme : une femme dans un corps d’homme, ou vice versa, est aujourd’hui une représentation dépassée. Elle n’existe déjà plus. Ce qui n’empêche pas certains de se considérer comme tels puisque le protocole de « transsexualisation » est un sas d’entrée pour l’obtention de droits. 
 
Ce protocole a longtemps été considéré comme une avancée dans la reconnaissance de l’identité trans. Que lui reprochez-vous ?
 
Pour bénéficier d’un changement d’état civil, il faut avoir été suivi pendant deux ans par un psychiatre, qui va diagnostiquer une dysphorie de genre, un trouble. On peut alors commencer l’hormonothérapie, qui prend parfois des années. Ensuite, les gens peuvent bénéficier – ou la subir, ça dépend de la qualité du chirurgien – d’une réassignation, c’est-à-dire vaginoplastie ou phalloplastie. Ajoutons qu’il faut accepter d’être stérilisé. Résultat, ces protocoles sont tellement longs, durs et excluants que la majorité des trans, en particulier les jeunes, vont se faire opérer à l’étranger (2). 
 
N’est-il pas dangereux d’imaginer une transition sans protocole ?
 
Il est étonnant que les personnes non trans ne soient pas psychiatrisées pour que l’on vérifie qu’elles sont bien ce qu’elles disent, homme ou femme… Pourquoi dès lors faudrait-il psychiatriser les autres ? Que l’encadrement soit médical, c’est important, ne serait-ce que parce que certains désirent se faire rembourser leur opération. Mais être médicalisé ne veut pas dire être psychiatrisé. Ces personnes ne souffrent pas du fait d’être trans, elles souffrent de la transphobie. 
 
Vous êtes chercheur et militant. Est-ce compatible ?
 
Oui, parce que je ne crois pas en l’universalité, la neutralité et l’objectivité. Je crois que chaque point de vue est situé. Je ne suis pas trans. Mais je suis militant avec des amis trans, pour ce qui leur semble important : la libre disposition de leur corps. Je suis aussi cofondateur de l’Observatoire des transidentités, avec Karine Espineira et Maud-Yeuse Thomas. Il s’agit d’une rencontre entre les discours militants et universitaires sur la question trans. Je crois qu’il est important que les chercheurs disent d’où ils parlent. Quand un chercheur hétérosexuel parle, il parle aussi de son hétérosexualité. En tant que militant, mon point de vue est subjectif ; en tant que chercheur, il reste scientifique. J’ai une méthode, une recherche, un terrain.
 
Quelles sont les revendications des associations trans ?
 
Sur ces questions, on peut se référer au collectif Existrans, qui exige la libre disposition de son corps, le libre choix du médecin, ou l’accès à un état civil indépendant de l’opération, par une auto-déclaration… 
 
Que dit le droit français en ce domaine ?
 
En France, contrairement à d’autres pays, le droit est dépendant de la psychiatrie. En Argentine, et plus récemment en Suède par exemple, il est possible de changer d’état civil sur simple acte déclaratif. L’État ne va pas vérifier ce que l’on a dans sa culotte.
 
Devant le tribunal d’Agen, un transsexuel a récemment obtenu un changement d’état civil sans réassignation chirurgicale…
 
Oui, mais c’est une première ! Ça prouve que la jurisprudence peut faire bouger les choses. Il n’empêche qu’à ce jour, au niveau européen, la France est très en retard dans le domaine de la libre disposition de son corps. 
 
La législation va-t-elle évoluer ?
 
Les promesses du candidat Hollande font croire que oui. Les résistances font craindre que rien n’évolue vite. Les trans demandent qu’on reconnaisse la transphobie. La majorité PS a voté en juillet une loi de protection contre les discriminations liées à « l’orientation et l’identité sexuelles ». Mais les trans revendiquent une identité de genre. La transidentité doit être dissociée de l’homosexualité. 
 
D’autres revendications concernent la transparentalité…
 
Le terme recouvre plusieurs choses. Le fait d’avoir eu un enfant, puis d’avoir « transitionné » et d’être parent trans de fait. C’est aussi la revendication de porter la vie en tant qu’homme. On a eu le cas aux USA de Thomas Beatie : né femme, devenu homme et qui a accouché de plusieurs enfants… 
 
On recense quatre cas analogues. C’est très minoritaire…
 
La question trans dans son ensemble est minoritaire mais significative d’un enjeu universel : la libre disposition de son corps. Il faut espérer que la société se défasse de l’équation homme = masculin, femme = féminin. Il faut que chacun puisse défaire le genre à sa manière.
 
 
(1) « Du "transsexualisme" aux devenirs trans », université Bordeaux-Segalen, 2012. (2) Pour 2010, la Sofect (Société française d’étude et de prise en charge du transsexualisme) recense 1 229 patients français ayant suivi les programmes menés par six équipes médicales, pour 154 opérations. La même année, environ 210 Français étaient opérés en Belgique, au Canada ou en Thaïlande