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 d’ADHEOS

Longtemps, la ville a été un refuge pour les populations queers. Et si aujourd’hui, c’était la campagne qui endossait ce rôle ?
 
 
A en croire les chiffres de l’Insee ou les données collectées par l’association Collectif Ville-Campagne, si 80% des Français vivent en ville, une frange des citadins réinvestit les territoires ruraux depuis une bonne dizaine d’années. Les populations queers semblent, elles-aussi, obéir à ce mouvement.
 
Selon Colin Giraud, professeur de sociologie à Lyon II et auteur de Quartiers Gays : ”Il y a une tendance des gays néo-ruraux récente et plus importante aujourd’hui en France. Il y a l’idée que la visibilité urbaine serait une séquence qui finirait“. Le chercheur tient cependant à souligner que ce phénomène, difficilement quantifiable en France, n’est pas absolument nouveau : “Historiquement, les populations queers sont allées vers les villes mais ça ne veut pas dire que ça a été toujours le cas pour tout le monde“. Si la ville a été un facteur d’émancipation, la vie à la campagne et à la ferme agencerait aujourd’hui de nouvelles manières de concevoir cette dernière.
 
Rodéo gay
 
Aux Etats-Unis et au Québec le repérage est plus facile. Tout un discours associatif et théorique accompagne ce mouvement. Le documentaire Out Here en témoigne très bien. Plusieurs problématiques s’entrecroisent dans ce dernier, ou dans les témoignages audio de Country Queers. Aux Etats-Unis, les queers farmers pensent en acte les questions de l’identité – ils ne peuvent ni ne veulent séparer leur identité queer de leur identité d’agriculteur-trice – celles de la réappropriation de la culture locale, comme dans ce documentaire sur le rodéo gay et croisent ces questions queers avec des problématiques écologiques. C’est le travail auquel s’est notamment attelé Joshua Sbicca, chercheur à l’université de Floride et théoricien du mouvement eco-queer.
 
Fiertés agricoles
 
Mais contrairement à l’Amérique du Nord où ces fermes s’organisent en associations, comme Au Cœur des Famille Agricole au Québec qui intègre un volet “fiertés agricoles“, et où les fermiers-ères ont même leur site de rencontre, le mouvement en France est plus diffus.
 
Ces queers farmers existent bel et bien dans l’hexagone, comme l’a entre autres montré Les Invisibles, le documentaire de Sébastien Lifshitz sorti en 2012; c’est aussi l’un des terrains de recherche de Colin Giraud (il étudie les gays néo-ruraux de la Drôme). Si aucun discours n’accompagne ce phénomène en France, c’est que l’échelle et les modalités ne sont pas les mêmes. Le professeur analyse:
 
“D’un côté il y a le désir de vivre autre chose, qui est générationnel. On recherche une alternative au centre-ville, d’autres valeurs plus éthiques. De l’autre, il y a aussi la volonté de sortir d’un certain conformisme que les quartiers gays et leurs contraintes ont créé”.
 
Contrairement au milieu urbain, la question de la visibilité et de l’acceptation se pose autrement. Elvire, ex-intermittente du spectacle fraîchement reconvertie dans la biodynamie avec sa compagne Valérie raconte : “Il y a une forme de pudeur. On a un voisin de 90 ans dont la famille est ici depuis quatre générations et c’est notre meilleur protecteur. Il n’a jamais posé de question“. Colin Giraud ajoute : “Il ne faut pas nier l’homophobie et la violence, mais elle ne semble pas forcément pire qu’ailleurs“.
 
La question de la communauté reste pour l’instant en suspens
 
L’acceptation passe par le travail: “On a été rendues légitime par le travail. C’est après avoir rentré 17 tonnes de foin dans la grange avec le tracteur, puis avoir fait des énormes travaux de clôture qu’on a été acceptées. C’est plus important que le reste”. D’ailleurs quand l’homosexualité des deux femmes est évoquée, c’est par une métonymie qui semble bienveillante : “On vit dans un petit hameau, et dans la ville la plus proche il y a eu une rumeur qui disait que la ferme avait été racheté par des “Américaines”. Ça nous a fait rire. Aujourd’hui si tu nous écris en mettant « la ferme des Américaines », on recevra le courrier”.
 
Seule la question de la communauté reste pour l’instant en suspens : ”J’aimerais bien avoir ou créer un lieu ouvert dans ce cadre campagnard“, confie Elvire. C’est donc une autre manière de penser l’identité que revendiquent ces queers farmers. En Amérique du Nord comme en France, la question écologique y semble intimement mêlée: “C’est un vrai engagement, je trouve ça révolutionnaire au sens énergétique. J’ai envie de dépenser mon énergie, non pas pour acheter des choses mais pour produire ce dont j’ai besoin“, affirme la nouvelle agricultrice.
 
Certain(e)s, comme Annie Sprinkle, ont poussé le raisonnement jusqu’à théoriser et pratiquer l’ecosex. Soit une manière de (ré)affirmer la place des queers dans le “naturel”. Ou quand Dame Nature elle-même devient un refuge pour les “déviants”.