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 d’ADHEOS

Depuis 2003, un festival culturel et militant se tient d’avril à août, à Zagreb, la capitale de la Croatie, le Queer Zagreb Festival. Si le festival reçoit le soutien des institutions françaises depuis plusieurs années, c’est un autre son de cloche qui est parvenu aux oreilles des organisateurs/trices cette année.
 
PROVOCATIONS ET PÉDOPHILIE
C’est tout d’abord une sorte de mise en garde que l’Institut français a fait parvenir début avril à l’approche de la conférence de presse du Queer Zagreb Festival. En effet, il était conseillé aux organisateurs/trices d’«être prudent» et de ne pas «faire de provocations»: «Nous ne voulons pas lire dans les journaux qu’à cette conférence de presse à La Médiathèque, vous avez accusé l’Église catholique de pédophilie ou autre». Le message du directeur de l’Institut français Jean Marc Cassam Chenai faisait référence aux réactions qui ont suivi la conférence du chercheur néerlandais Gert Hekma en mars dernier sur le mouvement LGBT et la révolution sexuelle. Plusieurs associations religieuses l’avaient alors accusé d’être venu promouvoir la pédophilie. Indigné-e-s par cette injonction de la part des institutions françaises, les organisateurs/trices du Queer Zagreb Festival ont appris par la suite qu’un événement prévu au programme ne pourrait plus avoir lieu dans La Médiathèque, une lecture intitulée «Clerical Queer Film» par le critique Dragan Rubesa. Au même titre que la conférence de Gert Hekma, elle réveillerait la colère d’une association ultraconservatrice, Vigilare. Cette organisation religieuse croate s’oppose aux droits des LGBT, dont l’ouverture du mariage, mais agit aussi contre l’insémination artificielle, l’avortement, l’égalité homme/femme et milite contre l’éducation sexuelle dans les écoles.
 
LE POUVOIR D’INTIMIDATION DE VIGILARE?
Pour Zvonimir Dobrovic, le président de Domino, une des principales associations LGBT croates, le fait que les institutions françaises craignent la réaction d’une organisation comme Vigilare est une menace à prendre au sérieux: «Cette fois, c’est contre les LGBT, la prochaine fois, ce sera une discussion à propos de l’insémination artificielle qui pourrait provoquer cette association catholique, puisqu’elle est opposée à tant de choses, déplore-t-il auprès de Yagg. Une fois qu’on laisse passer ce genre de façons de penser, on n’en finit pas.» Pour lui, il est clair que perdre le soutien de la France à cause de la pression d’une organisation extrémiste est un signal très inquiétant. «Nous croyons et espérons vraiment que les valeurs promues par Vigilare ne bénéficient pas du soutien de vos institutions respectives, a-t-il écrit dans un courrier adressé à l’ambassadrice Michèle Boccoz et au directeur de l’Institut français Jean-Marc Chassam Chenai. Nous pensons qu’il est extrêmement dangereux pour l’ambassade et l’Institut français de cesser leur soutien actif au développement des valeurs de la société civile en Croatie, et de craindre au contraire le fondamentalisme religieux. Nous l’attendons plus particulièrement au moment où le gouvernement français ne se défile pas face aux manifestations massives contre le mariage pour tous en France, qui dérivent aussi et gagnent en puissance de par leurs fondements religieux. Nous attendons une inversion de votre décision, de même que de plus amples explications.»
 
LA RÉPONSE DES INSTITUTIONS FRANÇAISES
La réponse de l’ambassade est finalement tombée fin avril: «Les organisateurs ne nous ont pas alertés sur les controverses liées à l’un des intervenants, Gert Hekma, ni avant ni après sa conférence, ce qui a empêché cette ambassade d’anticiper et de préparer aux articles mettant en cause l’Institut français et aux plaintes reçues de la part des partenaires et des adhérents. (…) Nous avons considéré que le sujet de nombreuses conférences, relatif à la pédophilie et à l’homosexualité dans l’Église, même via la critique de films, ne relevait manifestement pas de la défense des droits des personnes LGBT et n’avait pas sa place à la Médiathèque.» Joint par Yagg, le service presse du Quai d’Orsay affirme que les droits humains font partie des priorités du ministère et qu’il n’a jamais été question pour l’ambassadrice Michèle Boccoz de céder à une organisation comme Vigilare, malgré le refus d’accueillir la conférence «Clerical Queer Film».
 
LA MISE EN GARDE DES ASSOCIATIONS LGBT
Les organisateurs/trices du festival et les représentant-e-s de l’ambassade et de l’Institut français se sont finalement rencontré-e-s pour tirer les choses au clair: «Nous avons accepté de les voir évidemment, explique Zvonimir Dobrovic, mais nous n’acceptons pas les explications et justifications de leur lettre – parce que certaines sont fausses, et parce que nous trouvons condescendant de nous apprendre ce qui est approprié de dire ou non à propos du militantisme LGBT en Croatie.» Le président de Domino salue néanmoins le geste de ces institutions et a saisi cette occasion pour avertir Michèle Boccoz et Jean-Marc Chassam Chenai du contexte actuel des LGBT croates: «Nous avons fait part de nos inquiétudes car vouloir maintenir le statu quo quand on parle de droits humains n’est pas viable. Nous avons prévenu l’ambassadrice que le cardinal Josip Bozanic avait annoncé qu’il soutiendrait l’initiative d’un référendum pour changer la Constitution en incluant le mariage comme étant l’union d’un homme et d’une femme, pour éviter “un cas de figure à la française”. Les organisations catholiques ont jusqu’au 26 mai pour récolter 300000 signatures et ainsi le gouvernement devra faire une référendum sur la question.» De nombreuses associations religieuses sont d’ores et déjà sur le pied de guerre et plus de 130000 signatures auraient déjà été recueillies dès le premier jour. Pour Zvonimir Dobrovic, cette mobilisation est dure à encaisser: «Même les vétérans de guerre n’ont pas réussi, alors qu’ils voulaient un référendum pour protéger constitutionnellement le souvenir de la guerre d’indépendance.»
 
UN COMBAT DE TOUS LES JOURS
Un climat homophobe et transphobe est encore palpable en Croatie, comme en témoigne la violence avec laquelle les gay prides de 2011 et 2012 dans la ville de Split ont été accueillies (voir la vidéo ci-dessous). Néanmoins le gouvernement croate travaille à faire évoluer l’égalité des droits, notamment à travers le débat sur l’ouverture du mariage pour les couples de même sexe. De plus, des thèmes comme l’homosexualité et l’égalité homme/femme vont être intégrés aux programmes scolaires. «Concernant l’éducation, le discours tenu sur l’homosexualité par les catholiques et la droite n’était que sur la perversion, le péché, la pédophilie… Les méthodes habituelles, affirme Zvonimir Dobrovic. Des organisations religieuses ont même distribué des flyers en coopération avec une grande chaîne de supermarchés où figuraient la question “Êtes-vous d’accord avec le fait que votre enfant apprendra que l’acte homosexuel est aussi naturel et valable que l’acte entre un homme et une femme?”» Des raisons qui amènent les associations LGBT à s’inquiéter de la frilosité des institutions françaises: «Il est difficile de les mettre en garde, car elles sont convaincues d’être dans une démarche LGBT-friendly et donc qu’elles ne sont pas en tort. Mais en Croatie comme partout ailleurs, c’est un combat de tous les jours que de protéger et d’améliorer la place des LGBT dans la société».