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 d’ADHEOS

Face à la préfecture de Vendée, une Marianne alitée joue "l’agonie de la démocratie". Car les opposants au mariage pour tous se veulent la voix du peuple ; contre les élus, ils prétendent incarner le "pays réel". Les prières de rue seraient donc l’emblème de leur République – à condition, bien sûr, d’être chrétiennes. Et dans cet esprit démocratique, Christine Boutin menace de "guerre civile", tandis que Frigide Barjot tonne : "Hollande veut du sang, il en aura."
 
Et du sang, il y en a – depuis les débordements dans les manifestations jusqu’aux passages à tabac homophobes, sans parler des saccages de lieux associatifs, des menaces de mort contre des élus ou, bien sûr, des insultes quotidiennes. En 2004, le mariage de Bègles avait pour point de départ l’agression contre Sébastien Nouchet : comment lutter contre l’homophobie sans remettre en cause l’inégalité devant la loi ? Aujourd’hui, à l’inverse, c’est l’égalité des droits qui suscite en réaction la violence homophobe.
 
Néanmoins, lorsque Henri Guaino s’inquiète (avec les chefs de l’UMP) d’un "danger pour la démocratie", c’est en jugeant que "le gouvernement prend le risque d’une opposition de plus en plus violente en attisant des tensions extrêmes". Monseigneur Vingt-Trois rejette aussi la faute sur nos dirigeants : "La compression de la frustration débouche un jour ou l’autre sur la violence." Certes, ces responsables ne sont pas irresponsables au point d’applaudir les violences ; toutefois, ils les comprennent.
 
TENTATION ANTIDÉMOCRATIQUE
 
On assiste donc à l’inversion rhétorique de la démocratie pour expliquer, voire excuser l’homophobie, qui sort avec virulence du placard républicain. Qui rappelle encore la formule chère à l’ancien président : "Quand on veut expliquer l’inexplicable, c’est qu’on s’apprête à excuser l’inexcusable" ? Il est vrai qu’il songeait aux jeunes des banlieues : à l’évidence, les incivilités ont une couleur. Barbarie au-delà du périphérique, civilisation en deçà… Reste à expliquer les raisons de cette tentation antidémocratique.
 
La première tient effectivement à nos gouvernants. Depuis l’élection de François Hollande, les clivages entre droite et gauche ont quasiment disparu, qu’il s’agisse d’austérité budgétaire ou de compétitivité économique, d’expulsions d’immigrés ou de chasse aux Roms. Jérôme Cahuzac après Eric Woerth, Manuel Valls après Nicolas Sarkozy : on croit voir double. Même sur le front laïque, la gauche mime la droite : à son tour de lancer une loi sur le voile ! Et tant pis si c’est l’Eglise catholique qui, contre le mariage pour tous, bouscule la laïcité…
 
Bref, les sondages d’opinion le confirment, seule la loi Taubira distingue vraiment les deux camps. Le problème n’est pas que droite et gauche s’affrontent sur ce terrain ; c’est s’il n’en est plus d’autre pour les départager. Privée d’alternative, la confrontation s’exaspère là où elle subsiste encore. C’est au gouvernement qu’il faut imputer ce déficit : la dérive antidémocratique est d’abord le symptôme de l’évidement de la démocratie, soit d’une alternance sans alternative.
 
Une deuxième explication renvoie à la droite. Sous prétexte de contenir le Front national, elle en reprend les thématiques xénophobes et islamophobes. En réalité, au lieu de toucher à l’empire des marchés, c’est l’interprétation qu’elle offre au peuple de sa colère. La lutte contre l’immigration subie fut ainsi la réponse donnée par Nicolas Sarkozy au rejet par référendum du traité constitutionnel européen en 2005. L’identité nationale n’est donc que l’autre face de la politique néolibérale. C’est d’ailleurs faute d’avoir rompu avec les options économiques de la droite que la gauche reconduit sa politique d’immigration.
 
Quel rapport avec le mariage pour tous ? La racialisation de la nation qu’entraîne la course vers l’extrême droite a pour corollaire la biologisation de la famille. C’est une même bataille pour la naturalisation de l’ordre social qui se joue dans les deux registres. Selon le code civil, la filiation ne définit-elle pas à la fois la parenté et la nationalité ? Le langage des origines s’y déploie simultanément ; et comme pour compenser ce lexique de la "souche" ou du "sang" français, de la "vérité" biologique ou de la "vraisemblance", jamais la droite n’a tant parlé de démocratie.
 
L’ENJEU, C’EST LA "DÉMOCRATIE SEXUELLE"
 
La troisième raison tient à l’ordre sexuel. Pourquoi l’Eglise catholique s’est-elle engagée dans cette croisade, déjà amorcée en 2011 contre la "théorie du gender" (sic) ? L’enjeu, c’est la "démocratie sexuelle" – soit l’extension du domaine démocratique, avec ses revendications de liberté et d’égalité, aux questions de genre et de sexualité. L’ordre social est-il tout entier sujet à la délibération démocratique, ou bien peut-on encore y préserver un fondement qui échappe à l’histoire et à la politique ? Pour les Eglises, la question est d’importance : si la société ne se définit plus par une autorité transcendante, mais s’institue elle-même en proclamant son immanence, quel contrôle leur concédera-t-elle ?
 
Aussi la nature biologique devient-elle le refuge de la transcendance : contre le mariage pour tous, l’ancien grand rabbin Gilles Bernheim avait emprunté (sans guillemets) l’expression "écologie humaine" à Benoît XVI ; en retour, celui-ci l’a cité au moment de défendre les "forêts tropicales" du mariage hétérosexuel. Sans doute cette contre-attaque, qui confond Dieu avec la nature, est-elle paradoxale : si on la croit naturelle, pourquoi redouter l’effondrement de l’hétérosexualité dès lors qu’elle ne serait plus instituée par l’Etat ? Et qu’est-ce qu’une institution naturelle ?
 
La hiérarchie catholique aurait pu s’engager dans des combats moins partisans. Ainsi, la persécution des Roms est indifféremment menée par la droite et la gauche ; pourtant, nonobstant la charité chrétienne, il n’en est pas question dans les manifestations et prières de rue. Privilégier la lutte contre la démocratie sexuelle, c’était choisir l’alliance avec l’opposition. Or, en l’absence de discours alternatif à gauche, c’est contribuer à saper la démocratie elle-même : la dérive de l’Eglise légitime celle de la droite qui la cautionne en retour. "Agonie de la démocratie" ? Espérons que la farce de l’inversion ne se répétera pas en tragédie.