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 d’ADHEOS

Longtemps village juif et gay de Paris, le quartier voit se multiplier les enseignes de luxe, au détriment des petits commerces. Une «champs-élysation» largement portée par le BHV, sans réelle résistance.
 
Rue des Archives, sur les balustrades masquant les travaux du BHV Marais, un large graffiti montre Goldorak, le majeur dressé vers le passant. Et ces mots, «Gold Fucks», en lettres gothiques sur fond de monogramme Vuitton, clin d’œil irrévérencieux à l’arrivée de bastions du luxe dans le mythique quartier parisien.
 
«Centre commercial à ciel ouvert»
 
Le Marais vit un tournant commercial aux airs de «champs-élysation» rampante, poussée par la gentrification constante des IIIe et IVe arrondissements de la capitale depuis une vingtaine d’années. L’installation des enseignes de l’hyperluxe rue des Archives, en lieu et place d’un Starbucks et d’un Daily Monop’, illustre à quel point le secteur est devenu désirable. Il prouve aussi que le village, aussi gay que juif, aussi tradi que folle dans les années 90, se dilue avec le développement des commerces de prêt-à-porter. D’ici cinq mois, Givenchy, Fendi (propriétés de LVMH), Gucci (appartenant à Kering) et Moncler (marque franco-italienne dirigée par Remo Ruffini) ouvriront là des boutiques dédiées à l’homme.
 
Dans les environs, contrairement à ce que le Goldorak provocateur laisserait croire, la résistance est molle. Un groupe Facebook s’est créé contre «le dessèchement programmé du Marais» sans parvenir à rassembler plus de 153 membres. Vu de la rue, le Marais serait devenu, dans la bouche des riverains, «un centre commercial à ciel ouvert» et «un parc d’attractions pour touristes» entièrement tourné vers la sape. «On se voit proposer des rachats de fonds de commerce autour du million d’euros, note un commerçant. Comment lutter face à la spéculation ? Le village, ici, c’est terminé. C’est le plus offrant qui gagne. Et ce n’est qu’un début.»
 
Le départ de la rue des Archives d’Agora, plus gros marchand de journaux de Paris, au profit de The Kooples, symbolise aussi ce glissement inéluctable. A quelques numéros de là, une station-service sera bientôt transformée en boutique de baskets. Il y a quelques mois, la librairie Charlemagne, située face au célèbre lycée, a laissé place à la marque Maje. La galerie Yvon Lambert, rue Vieille-du-Temple, pourrait connaître le même sort. Karl Lagerfeld a, lui, installé son deuxième concept store rue Vieille-du-Temple à l’été 2013. Et, en avril dernier, Uniqlo réalisait une belle opération en investissant la dernière usine de Paris, rue des Francs-Bourgeois, conservant intelligemment le cachet des lieux. Les voisins du géant japonais sont les nouveaux maîtres du luxe dit accessible : The Kooples, Sandro, Maje, Bash, Les Petites. Un vieil habitant de la rue du Petit-Musc assure qu’il n’a «jamais vu autant de changements en si peu de temps».
 
A première vue, Givenchy ou Gucci n’ont aucunement besoin du Marais et inversement. En s’y implantant, les griffes de luxe cherchent à recruter une clientèle «plus large que dans le passé, constate Jean-Michel Bertrand, professeur à l’Institut français de la mode. Elles sont passées sur des marchés de masse. Et gèrent des tensions contradictoires : elles doivent créer une intemporalité, revendiquer le classicisme, tout en étant dans l’air du temps le plus effréné. Venir dans le Marais leur permet de quitter le monde compassé du luxe, presque aristocratique, pour se rapprocher des créateurs et des galeries. Et rendre ainsi le luxe abordable».