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 d’ADHEOS

Ils ou elles ont 20 ans, passent des bras des filles à ceux des garçons. Et refusent les normes sexuelles comme les étiquettes.
 
« J’aime une personne, pas un organe sexuel », assène Lola, 20 ans. L’assertion est troublante. « Fille ou garçon, cela m’importe peu. Il faut juste que l’individu m’émeuve », poursuit-elle. Bien dans son époque, Lola « ne se prend pas la tête ». Comme Piper Chapman, l’héroïne de la série « Orange Is the New Black », qui hésite entre les hommes et les codétenues de la prison où elle est enfermée pour trafic de drogue, comme Tom Daley, champion britannique de plongeon qui a annoncé fin 2013 être amoureux d’un homme après s’être affiché au bras d’une petite copine, ou comme Cara Delevingne qui file le parfait amour avec Michelle Rodriguez, Lola vit ses passions au masculin ou au féminin, au gré des rencontres et des circonstances. Si elle gêne toujours une partie de la société, la bisexualité, qui se banalise au sein de la jeune génération, apparaît comme le signe d’une révolution discrète mais réelle : celle de l’amour et du plaisir avant toute chose.
 
Longtemps, le monde n’était que binaire
 
Hommes et femmes, mâles et femelles… il excluait tous les entre-deux. Premiers à ébranler les certitudes, les gays ont entraîné une nouvelle subdivision entre hétérosexuels et homosexuels. Aujourd’hui, le tabou s’est déplacé sur une catégorie heurtant les présupposés : celle d’individus indifféremment attirés par les deux sexes. En 2013, 17 % des Françaises et 7 % des Français de 18 à 24 ans ont déjà été sexuellement attirés par des personnes des deux sexes (1). En 2006, ils n’étaient que 7,4 et 4,8 % (2). Pour ce qui est des rapports sexuels avec une personne de même sexe, ce taux est même passé de 5,7 à 10 % pour les filles entre 2006 et 2013, et de 3,8 % à 11 % pour les garçons. Dans les cours des lycées, voir deux filles s’embrasser est courant, tandis que, sur Facebook, on passe du statut de « fiancée à Machine » à « en couple avec Machin »… A l’étranger, la tendance est similaire. Au Royaume-Uni, le nombre de femmes déclarant avoir eu des relations sexuelles avec une autre femme a quadruplé en vingt ans, passant de 1,8 à 8 % (3) ! Comme l’explique Damien Mascret (4), sexologue, « on tolère mieux l’idée qu’un individu puisse être attiré par une personnalité et que l’organe sexuel importe peu. On commence à se soustraire à l’impératif du genre ». Qu’est-ce qu’une fille, un garçon, une sexualité normale ? En 2014, la réponse est devenue personnelle.
 
L’exemple des stars
 
La « fluidité sexuelle », l’idée que la vie érotique n’est pas un continuum figé, mais une succession d’expériences, se généralise auprès des jeunes. Sont passés par là la révolution sexuelle, l’acceptation grandissante de l’homosexualité, le « tout possible » d’une génération rétive aux choix définitifs, mais aussi l’exemple des stars (Amber Heard, Angelina Jolie, Madonna, Azealia Banks…), nombreuses à afficher une bisexualité au parfum de soufre, et celui de la téléréalité qui, malgré des stéréotypes caricaturaux, présente des candidats bi. « Ces émissions ont joué un rôle non négligeable dans l’acceptation par le public de personnalités bisexuelles et transgenres, pointe le psychologue Eric Verdier. Actuellement, Stromae est phénoménal avec son allure androgyne. C’est une sorte de Guillaume Gallienne bis qui touche toutes les classes sociales. » Autant de raisons qui, combinées à une certaine désillusion face au modèle traditionnel du couple, incitent à emprunter des chemins de traverse.
 
Le rapport au corps des hommes a changé
 
Ce qui est nouveau, c’est la distanciation que l’on perçoit chez ces jeunes. « Si je n’ai jamais eu envie d’être hétérobeauf, je n’ai pas choisi d’être attiré par des filles et des garçons », témoigne Achille, 24 ans. Revendiquant rarement un statut de bi, ces jeunes agissent comme tels, explorant le registre des possibles. Passer des bras d’une fille à ceux d’un garçon leur paraît normal, y compris pour les jeunes hommes. Sociologue et spécialiste de l’identité masculine, Daniel Welzer-Lang (5) constate cette évolution : « De plus en plus d’entre eux osent parler de pénétration anale, y compris avec leurs compagnes. Passer de pénétrant à pénétré n’est plus antinomique. Le rapport au corps des hommes a changé. Il y a chez les jeunes un désir d’expérimentation, et, si cela leur procure du plaisir, ils poursuivent dans cette voie. » Quant aux hypothèses psychologisantes d’immaturité affective, ils les balaient d’un revers de la main. « Dire qu’on est bloqué dans un non-choix, c’est idiot », affirme Malia, 21 ans. Et de conclure : « Être adulte, c’est être soi, pas forcément être hétéro ou homo. »
 
Plus qu’une évolution, c’est peut-être une révolution
 
Mettant en garde contre « la surévaluation de ce phénomène », l’anthropologue Catherine Deschamps (6) rappelle que « la bisexualité, qui interroge les normes et pose des questions, suscite des réactions fortes, voire la radicalisation des positions de ceux qui y sont opposés ». En ces temps de manifestations contre le mariage pour tous, on mesure combien le bouleversement des codes traditionnels peut déranger. Pour Vincent Strobel, président de l’association Bi’cause, qui regroupe nombre de jeunes adhérents, « on a l’impression que cette génération est plus libre dans ses comportements, ce qui va faire bouger les lignes à moyen et long terme ». Mise à bas des stéréotypes de genres, individualisation de la morale : les vingtenaires tracent une nouvelle voie… A entendre les spécialistes, il s’agit peut-être des prémices d’une révolution culturelle capitale. L’individu a triomphé, élaborant son identité, mouvante et unique. Reste que l’amour a ses raisons et ses déraisons. Et que, comme le résume Eustache, 19 ans, « aimer quelqu’un, c’est génial et sacrément relou, qu’il s’agisse d’une fille ou d’un garçon » !
 
(1) Enquête Ifop/Cam4, octobre 2013. (2) Enquête « Contexte de la sexualité en France » 2006.
(3) Etudes Nastal 1990-1991, 1999-2001 et 2010-2012.
(4) Coauteur de « Peut-on être romantique en levrette ? » (éd. La Musardine).
(5) Auteur de « Propos sur le sexe » (éd. Payot).
(6) Auteure du « Miroir bisexuel » (éd. Balland).