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 d’ADHEOS

Alors que des rassemblements sont organisés ce week-end contre l’extension de la PMA, d’anciens participants, alors enfants, et qui se sont depuis découverts homosexuels ou bisexuels, regrettent d’avoir été associés à ce mouvement.
 
« Je ne comprenais pas ce que je foutais là, moi, je voulais jouer aux Playmobil. » Louise* avait 8 ans et ses frères 9 et 3 ans, quand sa mère les a amenés à un rassemblement de La Manif pour tous à Lyon. C’était en mars 2013.
 
Ce mouvement créé quatre mois auparavant multipliait les manifestations en opposition au projet de loi ouvrant le mariage à tous les couples qui était examiné au Parlement. Samedi 30 et dimanche 31 janvier, de nouveaux rassemblements ont été organisés, cette fois contre l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA).
 
Louise y repense à chaque fois qu’elle passe près de l’opéra. Ce jour-là, elle a demandé à sa mère pourquoi elle manifestait. « Elle m’a répondu, en gros, qu’il y avait des femmes qui ne voulaient plus d’hommes. J’ai rétorqué : “C’est comme les mantes religieuses qui tuent les mâles, c’est trop méchant.” Mais je ne comprenais rien, en réalité. Je n’avais jamais entendu parler d’homosexualité. »
 
Dans les Hauts-de-Seine, Gabrielle* lisait un livre dans sa chambre quand sa mère est venue lui demander « si, pour [elle], une famille, c’était un papa, une maman et des enfants ». « Comme c’est le seul modèle que je connaissais, j’ai répondu oui », se souvient-elle. Quelques heures plus tard, elle se retrouvait, avec son frère, sa sœur et ses parents, à un rassemblement de La Manif pour tous. « J’aurais préféré rester chez moi pour continuer ma lecture », se remémore-t-elle. Elle avait alors 10 ans.
Perdue au milieu de la foule
 
Marie*, elle, se réjouissait d’aller passer le week-end à Paris, avec son petit frère et sa petite sœur, de 9 et 6 ans. « Je pensais que c’était pour aller voir mes cousins et visiter le musée du Louvre », raconte-t-elle. Dans le train qui les conduit de Lyon à la capitale, de nombreux passagers agitent de petits drapeaux roses et bleus. « Ma mère m’a dit qu’on allait les rejoindre car on allait à la manif avec eux. » Mais, à l’époque, Marie n’avait aucune idée de ce à quoi pouvait bien correspondre ce « eux ».
 
Le 24 mars 2013, pourtant, elle était comptabilisée, comme beaucoup d’autres enfants, dans les centaines de milliers de manifestants anti- « mariage pour tous ». Au milieu de cette foule immense, elle était perdue. « Plusieurs personnes criaient des insultes homophobes, j’avais mal au crâne, se remémore Marie. Ma mère nous avait bien mis devant, elle portait ma petite sœur pour qu’elle crie haut et fort, il fallait qu’on affiche notre famille. Moi, je ne voulais pas insulter les gens, alors j’avais fait exprès de me mettre en retrait pour ne pas crier. Si ma mère m’avait vue, elle m’aurait forcée. »
 
Marie se souviendra sans doute à jamais des « mots très crus » prononcés par sa mère quand elle lui a demandé pourquoi elles manifestaient. « Elle a parlé d’“homos dégénérés”, de “malades mentaux”. Elle m’a dit qu’on manifestait pour empêcher les homos de faire un péché mortel aux yeux de Dieu en se mariant. »
Homophobie intériorisée
 
Issue d’une famille très catholique, Marie s’est rendu compte des années après que, ce jour-là, elle avait en fait manifesté contre ses propres droits. « En 4e, j’ai commencé à me poser des questions sur mon éducation et sur mon orientation sexuelle. J’ai réalisé à quel point cette manif avait été violente, haineuse. J’ai surtout réalisé l’impact que ça avait pu avoir sur moi. »
 
A 13 ans, elle a pris conscience qu’elle aimait les filles. « Je me suis demandé ce qu’en pensaient mes parents et c’est à ce moment-là que les images de cette manif me sont revenues. J’ai découvert les crises d’angoisse avec ça. Quasiment tous les soirs, j’avais les cris des manifestants, de mes parents, qui me revenaient en tête. » Et d’ajouter : « C’était impensable que je sois lesbienne, ce n’était pas normal. »
 
Jean*, Bordelais, a aussi mis des années à se remettre de la manifestation parisienne à laquelle on l’a amené l’année de ses 12 ans. « De mes 15 ans à mes 18 ans, je pleurais tous les soirs dans ma chambre et je priais pour changer. » Il a songé à entamer une « thérapie de conversion » et même à devenir prêtre. Assumer sa bisexualité auprès de ses parents reste inenvisageable. « Je sais que, s’ils l’apprennent, ils me couperont les vivres », affirme-t-il.
 
Guillaume, qui a découvert son attirance pour les garçons à 14 ans, soit trois ans après sa première Manif pour tous, témoigne de la même homophobie intériorisée : « J’ai commencé par nier tout net, ça ne pouvait être vrai. Mais, au fond, je savais très bien que je me mentais. Je me détestais encore plus, je pleurais certains soirs, je voulais me “réparer”. »
 
Lorsqu’elle est tombée amoureuse d’une fille de son collège, Louise a tenté de se suicider. « Un soir, j’ai pris beaucoup de médicaments, mais ça n’a pas marché. Je pense que c’était un appel au secours », confie-t-elle.
 
En réalité, la jeune fille voulait ne surtout pas entrer dans le moule auquel elle était prédestinée : « Il y a énormément de sexisme aussi à La Manif pour tous, en plus de l’homophobie et de la transphobie. Mais je ne voulais pas devenir comme les femmes de ma famille. Je me rendais bien compte que le mariage avec un homme, ce n’était pas pour moi. »
 
Ni Louise, ni Jean, ni Gabrielle n’ont fait leur coming out auprès de leurs parents, par peur de leur réaction. Et c’est involontairement que Marie y a été poussée, « outée » par vengeance par une fille du lycée avec qui elle s’était disputée. « La première chose que m’a dite ma mère, c’est : “Qu’est-ce que j’ai raté ?”, puis elle s’est effondrée en larmes et m’a demandé d’aller voir un prêtre “pour chasser ces désirs impurs”. » Marie avait 16 ans. Elle n’a finalement jamais vu de prêtre et se définit, à 19 ans, comme lesbienne et non-binaire.
 
Jean pointe l’hypocrisie des militants. « Mes parents ont divorcé en 2013 et, aujourd’hui, j’ai peu de contacts avec mon père, qui était violent. Ils sont en contradiction totale avec les valeurs qu’ils prônent et ce ne sont pas les seuls. »
 
Marie dénonce également l’instrumentalisation des enfants par ce mouvement, qui prétend défendre leur « intérêt supérieur » : « Ils sont mis en scène sur des chars, alors qu’ils n’ont aucune idée de qui ils sont et de ce qu’ils vont devenir. » « Etant une victime directe de l’endoctrinement des enfants qu’ils organisent, je pense vraiment que La Manif pour tous fait beaucoup de mal », renchérit Guillaume.
 
Aujourd’hui, tous en veulent à leurs parents, mais certains ressentent également une forme de compassion. « C’est compliqué, parce que je ne les déteste pas pour autant, je sais qu’ils ont souffert eux-mêmes de cette vision, relève Louise. Ma mère est médecin, elle travaille beaucoup et, quand elle rentre, elle a encore le linge à gérer, la bouffe… Quand je vois les cernes des femmes de ma famille, j’ai de la peine pour elles. Et pour mon père aussi : il est sommé d’être toujours performant, viril. Mais je leur en veux d’avoir voulu reproduire ça sur moi. »
 
Louise a fini par s’engager contre La Manif pour tous ; en octobre 2020, elle a participé à une contre-manifestation en faveur de la PMA pour toutes à Lyon. Marie, étudiante en psychologie, voudrait aider d’autres jeunes victimes d’homophobie au sein de leur propre famille quand Jean aimerait porter le combat pour les LGBT encore plus haut, en devenant eurodéputé. « Mais ça imposerait de m’assumer. Il faut d’abord que je prenne le temps d’avancer avec ce que je suis. Ensuite, seulement, je pourrai le porter. »
 
* Ces prénoms ont été changés à la demande des personnes interrogées.
 
Jean, bisexuel : « La Manif pour tous m’a détruit intérieurement »
 
« J’avais 12 ans, et mes sœurs 8 ans. Ni elles ni moi ne savions ce qu’était l’homosexualité. En 2013, mes parents nous ont annoncé qu’on allait participer au rassemblement de La Manif pour tous. « Un couple normal est composé d’un homme et d’une femme, nous ont-ils expliqué. Or, l’Etat veut normaliser le mariage entre deux hommes ou deux femmes. Ce n’est pas naturel. » Ce week-end-là, on a quitté Bordeaux pour aller dormir chez des cousins à Paris. J’ai le souvenir de la masse de monde qu’il y avait dans les rues et des nombreux enfants qui, comme moi, y avaient été amenés.
 
La même année, ma mère était tombée sur une émission mettant en avant des parents d’enfants LGBT. Quand je suis rentré chez moi, elle m’a fait promettre de ne pas devenir homosexuel, parce que c’était contraire à ce que Dieu voulait. Depuis mes 8 ans, pourtant, je savais que j’étais attiré par les garçons. Mais je ne mettais pas de mots dessus.
 
Ce mouvement m’a détruit intérieurement. Pendant plusieurs années, je me suis forcé à sortir avec des filles, à essayer de rentrer dans la « normalité ». Je me disais que j’avais un problème psychologique. Et, pour montrer que je n’étais pas gay, j’avais des comportements homophobes.
 
J’avais 17 ans lors de ma première expérience sexuelle avec un garçon. Ça s’est fait en secret, par l’intermédiaire de l’application Grindr. C’était des coups d’un soir. A 18 ans, j’ai dit pour la première fois que j’étais bisexuel. J’ai alors perdu les trois quarts de mes amis. Je n’avais qu’eux, on était du même milieu. S’est ensuivie une période de grosse dépression. Il y a un an et demi, j’ai rencontré mon copain actuel, toujours sur Grindr. Mais il m’est encore compliqué de vivre ma sexualité, de défaire ce schéma social. Il m’arrive de le repousser alors que je suis amoureux de lui. J’en veux énormément à mes parents.
 
Dans La Manif pour tous, les parents se soucient plus du regard des autres que de la vie de leurs enfants, et beaucoup ne sont même pas capables de respecter ce qu’ils prônent : 2013 est aussi l’année où mes parents ont divorcé.
 
Aujourd’hui, je suis pour le mariage gay et la PMA pour toutes, mais j’irai me marier à l’étranger pour que mes parents ne soient jamais au courant. Je ne leur ai jamais dit que j’étais bi. La Manif pour tous est un mouvement d’arriérés et d’hypocrites qui refusent l’évolution de la société. Mais je n’ai pas de haine envers eux. »