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 d’ADHEOS

Saïd apporte les plats et les dispose sur la table du salon. Les invités arrivent au compte-gouttes, les bras chargés de victuailles. L’ambiance est joyeuse, familiale. Tout le monde se salue, s’embrasse et se donne des nouvelles.
 
En cette période de ramadan, les membres de l’antenne marseillaise de l’Association des homosexuels musulmans (HM2F) ont décidé de rompre le jeûne ensemble. « Ces moments sont importants, car ils nous permettent de nous retrouver et d’entretenir, pour certains, un lien avec la religion », souligne Salim (*), 22 ans, membre de l’association depuis février 2015.
 
Il est 21h25, le soleil s’est couché. Ludovic, Karim, Saïd et Salim déroulent leur tapis de prière sur la terrasse. Dans la pièce voisine, les autres convives qui n’ont pas fait le ramadan, écoutent leurs prières dans un silence religieux. Dans cette association qui a fusionné avec les Musulmans progressistes de France (MPF), tout le monde est libre de pratiquer sa religion comme il l’entend.
 
« Pendant longtemps, je n’arrivais pas à pratiquer ma religion. Maintenant c’est différent, même si j’ai encore un peu de difficulté à me dire que je peux être homosexuel et musulman », explique Adil, Franco-Algérien de 42 ans, installé en France depuis 1993. Encore aujourd’hui, de nombreux homosexuels musulmans se retrouvent dans une situation de dissonance identitaire, où l’homosexualité et l’islam sont perçus comme deux identités incompatibles.
 
Le poids de la communauté
 
A Marseille, Salim, l’un des coordinateurs de l’antenne locale d’HM2F, reçoit des appels de détresse de jeunes hommes d’origine maghrébine, âgés entre 20 et 30 ans, qui ont peur d’être rejetés en raison de leur orientation sexuelle. Et pour cause, comme l’explique Salim, il est très difficile de s’affirmer en tant qu’homosexuel dans des villes comme Marseille où les communautés arabo-musulmanes sont très importantes : « Les individus sont très dépendants de leur communauté. C’est grâce à elle qu’ils acquièrent une identité. D’une certaine manière, elle pallie le manque d’intégration des personnes issues de l’immigration en France. »
 
Pour vivre leur orientation sans crainte d’être exclus, beaucoup d’homosexuels musulmans compartimentent les espaces où ils peuvent faire leur coming out, ce qui crée parfois une « certaine schizophrénie ». « Pour mes parents, je suis un hétérosexuel qui s’apprête à se marier avec une musulmane, confie Karim, 35 ans, dont les parents sont originaires du Maroc. En réalité, je vis avec un homme et la femme avec qui je dois me marier est lesbienne. Je l’ai choisi pour être la mère de mon enfant. »
 
Adil n’aurait jamais pensé qu’en arrivant en France, il retrouverait les mêmes attitudes et les mêmes discours homophobes que dans son pays. « J’ai été plus maltraité ici qu’en Algérie. Au travail, certains musulmans ont su que j’étais homosexuel et ont voulu que je quitte mon emploi. Je ne veux plus fréquenter ces gens-là, » témoigne-t-il. Hichem, un Algérien de 43 ans, ne souhaite pas rentrer en contact avec la communauté algérienne en France : « J’aurais peur de m’enfermer et de devoir me cacher. »
 
Malgré les kilomètres qui le séparent de sa famille, Saïd n’arrive pas à se défaire du poids de sa communauté. Dans ses prières, il demande toujours à Dieu de lui pardonner. « La seule chose qui fait que je pratique encore ma religion, c’est que je sais que Dieu est miséricordieux », avoue ce jeune Français d’origine marocaine.
 
Valorisation des homosexuels
 
Pour l’anthropologue et fondateur d’HM2F, Ludovic-Mohammed Zahed, cette culpabilité est emblématique de l’amnésie de certaines communautés arabo-musulmanes qui réécrivent leur histoire et leur identité en condamnant et en excluant les homosexuels.
 
« Ils nient leur existence, en prétextant que celle-ci proviendrait de l’Occident », souligne l’anthropologue, né en Algérie il y a 37 ans, auteur en 2012 de La chair et le Coran (éd.. Max Milo). Ludovic-Mohammed Zahed, qui est aussi le premier français musulman a s’être marié religieusement avec un homme, énumère, arguments scientifiques à l’appui, des travaux de chercheurs qui ont attesté d’une tolérance et d’une valorisation des homosexuels notamment au temps de Mahomet.
 
Il fait ainsi état des Mukhanathuns, des hommes efféminés voire transgenres que le Prophète aurait défendus et accueillis chez lui, parmi ses femmes et ses enfants. « Tous oublient que c’est du fait de la colonisation, de l’écroulement de l’Empire ottoman que des valeurs patriarcales, machistes d’une Europe puritaine et homophobe ont émergé », observe Ludovic-Mohameb Zahed qui milite pour la réappropriation de l’histoire de l’homosexualité dans les sociétés arabo-musulmanes.
 
Le repas se termine. Tout le monde se réunit sur le balcon pour profiter de l’air frais. La musique résonne, et les discussions s’animent. Hichem extirpe de la poche de son pantalon une feuille de papier. Un peu fébrile, il annonce qu’il souhaite lire la lettre de l’écrivain marocain Abdellah Taïa, écrite à la suite du lynchage d’un homosexuel à Fès. Silence. Hichem commence le texte de l’auteur d’Un pays pour mourir (Seuil, 2015) : « Impossible de verser même une petite larme. Le choc que j’éprouve est tel que tout en moi s’arrête de vivre… »
 
Il fait nuit noire mais on peut apercevoir dans la pénombre les visages mués par la tristesse et l’incompréhension. D’une rive à l’autre de la Méditerranée, l’amnésie semble perdurer. La lecture s’achève. « Tout est dit », conclut Saïd.