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 d’ADHEOS

De tout temps, les monarchies et gouvernements despotiques s’en sont âprement pris aux LGBT. Les actes de violences à leur encontre, comme envers toute autre minorité ont été et restent partout distinctifs de régimes qui ont toujours gravement bafoué les droits humains.
 
Dans la grande majorité des États arabes et musulmans, l’homosexualité est criminalisée et souvent condamnable de pénalités et de conséquences démesurées, pouvant atteindre une peine de prison de longue durée ou la peine de mort par lapidation, lynchage public ou défenestration. Le Maroc ne déroge pas à la règle. Terreau fertile à l’analyse des libertés sexuelles et identitaires, le pléonasme des actes de violences et de réclusions à l’égard des personnes LGBT témoigne d’une ferme inimitié à l’égard de la différence basée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Si l’article 489 du code pénal criminalise « les actes licencieux ou contre-nature avec un individu du même sexe » et prévoit une peine « de six mois à trois ans de prison », les soulèvements sociaux de janvier 2011 ont permis des exhortations politiques, culturelles, sociales et sociétales pour les droits et les libertés individuelles, encourageant les revendications de la différence et l’affirmation d’une identité LGBT abondamment contestée.
 
Né à Rabat en 1973, Abdellah Taïa est un auteur marocain d’expression française. Intellectuel engagé, il est l’un des premiers auteurs du monde arabe à affirmer publiquement son homosexualité. Dans son dernier ouvrage ‘‘Celui qui est digne d’être aimé’’ paru aux éditions du Seuil, il dépeint les tabous de la société marocaine mais aussi celui de la France dont les effets du colonialisme perdurent dans la sexualité du protagoniste Ahmed.
 
De lui-même lorsqu’il se présente à l’occasion d’un échange, il note sobrement ceci : ‘‘Lucide et désespéré. Lucide car capable de discerner et d’analyser les enjeux culturels, politiques et économiques entre l’occident et le reste du monde. Et, désespéré parce que je n’ai toujours pas trouvé l’amour et d’une certaine façon, il n’y a que cela qui puisse nourrir nos combats…Mais toujours dans l’espoir, car même pour écrire le désespoir, il faut un rayon d’espoir’’. Entretien.
 
Fasséry Kamissoko : Qu’est-ce qui vous a décidé à écrire?
 
Abdellah Taïa : L’idée part du cinéma. Les films égyptiens que j’ai visionnés durant mon enfance. Ces films en langue arabe qui relataient des histoires qui m’étaient à la fois proches et interdites dans la société. Je crois que dès l’âge de dix ans, j’ai décidé d’exercer plus tard dans ce domaine. Or pour devenir réalisateur, il faut forcement passer par l’écriture des scénarios, être capable d’inventer un récit et le construire narrativement.
 
Fasséry Kamissoko : Dans votre dernier ouvrage, « Celui qui est digne d’être aimé » paru aux éditions du Seuil, le protagoniste, Ahmed, homosexuel marocain âgée de 40 ans, vivant à Paris écrit à sa mère, morte cinq ans auparavant, pour régler ses comptes avec elle et lui raconter enfin sa vie d’homosexuel. Quelle est, dans ces pages, la part d’autobiographie ?
 
Abdellah Taïa : Si un cinéaste camerounais réalise un film sur le Cameroun, qu’importe qu’il soit de l’ordre de la fiction ou pas, il ne va pas s’inspirer que des films étrangers qu’il a vus mais de ce qu’il connait. De comment sa vie le traverse. Il va donc amener sa propre vérité. Dès que j’ai commencé à écrire, il se trouve que ce qui s’imposait étaient les choses extraordinaires que j’ai vécu avec mes sœurs. Les enjeux et combats de mon quartier pauvre, la violence à travers l’homophobie, les insultes, les disputes et l’amour que j’ai vécu avec les miens.
 
Fasséry Kamissoko : Vous abordez plusieurs sujets très denses, pourquoi les avoir tous évoqués dans la même œuvre ? Pour vous, sont-ils liés ?
 
Abdellah Taïa : Le chœur de ce roman demeure le colonialisme français qui perdure, aujourd’hui, dans les discours politiques de la France, du Maroc, et de certains dirigeants en Afrique. C’est-à-dire qu’on nous demande de tourner la page du colonialisme alors qu’il persiste de multiples façons, surtout dans les visions psychiques qu’on a sur les africains noirs et les arabes, ici en France là où il a une forme de coopération économique qui passe par le succès d’un dictateur ou d’un pays africain. Cette question, plus je vieilli, plus je me rends compte qu’elle est encore extrêmement présente. Or pour amener cette critique plus que nécessaire, il fallait commencer par soi et par son propre monde. On fait l’autocritique. On regarde ce qui ne va pas. On commence par faire un nombre de table rase chez soi. Il n’y a que comme ça qu’on arrive à une forme de complexité. Et non pas à une dénonciation attendue et facile. Et pour cela, il fallait pour moi trouver la forme littéraire la plus simple et la plus directe.
 
Fasséry Kamissoko : Quel lien doit-on rétablir entre le colonialisme français qui perdure dans la vie amoureuse d’Hamed et l’homosexualité, en général ?
 
Abdellah Taïa : Il a un lien. Toutes les lois qui interdisent l’homosexualité au Maroc et je sais pour d’autres pays africains n’ont pas été inventées par ces derniers. Ce sont des lois issues du colonialisme. Maintenant qu’il n’y a plus de colonialisme, nous sommes restés avec ces lois-là. Nos pays d’Afrique se le sont appropriées. Ils les ont admises comme étant des lois qui expriment leurs identités profondes et ne veulent pas les abroger. On se retrouve dans quelque chose d’extrêmement fâcheux : à la fois politique et curieux.
 
Fasséry Kamissoko : Pourquoi avoir choisi une histoire compliquée entre une mère et son fils ? Quelle est la signification du choix de ce duo dans le livre ?
 
Abdellah Taïa : Il n’ y a pas que la mère et fils. Ce roman raconte le désarroi de quelqu’un, qui, pour devenir libre a choisi de s’allier à l’occident, en s’appropriant notamment la langue française. Or à un moment donné, il se rend compte que l’occident pourrait lui permettre de devenir libre, mais pour arriver à cette liberté-là, il lui faudrait renoncer à beaucoup de choses. Donc, il se retrouve perdu, dans presque une amnésie, de ce qu’il a été, de ce qu’il était censé devenir et qui n’est pas advenu. Le roman nous donne en remontant dans le temps d’où vient ce dessèchement du cœur du héros mais aussi son désir de confronter la vie et la politique ; la France et le Maroc mais surtout sa mère, pour avoir accès à une vérité.
 
Fasséry Kamissoko : Que pensez-vous de la politique du gouvernement marocain face à l’augmentation des agressions homophobes ?
 
Abdellah Taïa : C’est une question politique. C’est très malheureux mais ils ne font rien alors que les journalistes ont changé d’avis sur les homosexuels et traitent depuis une quinzaine d’années, la question de manière positive. Il a des associations militantes sur place. Il a ce mot Mitli qui a été créé pour ne plus décrire les homosexuels sous l’angle de l’expression « contre-nature ». Ce sont donc les politiques et les dirigeants qui sont en retard.
 
Fasséry Kamissoko : L’islam a-t ’il une responsabilité face à la dégradation de la situation des homosexuels au Maroc ?
 
Abdellah Taïa : Pourquoi l’islam serait-il responsable de cela ? L’islam est une histoire, une civilisation où on a vu émerger de grands esprits : des philosophes, des médecins, des économistes comme Avicenne. Cet espace qu’on appelle l’islam a permis aux hommes de faire avancer l’humanité. Ceux qui souhaitent aujourd’hui cantonner la question de l’homosexualité autour de l’islam ont en réalité un problème avec les musulmans. Ils estiment qu’un homosexuel comme moi va être de leur côté et entretenir une forme d’islamophobie. Je le répète encore une fois, dans toute religion, il a des choses qui posent problèmes.
 
Fasséry Kamissoko : Que préconisez-vous pour faire changer les mentalités ?
 
Abdellah Taïa : Il faut poursuivre le combat, continuer de parler et d’utiliser la réflexion pour faire avancer la situation. Je crois d’ailleurs qu’ils existent sur le terrain des éléments qui prouvent qu’il a des évolutions. Les seuls qui ne veulent pas avancer sont nos responsables politiques.
 
Fasséry Kamissoko : Quel est votre regard sur cette libération de la parole des femmes ?
 
Abdellah Taïa : Les femmes n’ont pas besoin d’être défendues. Elles ont juste besoin d’avoir leurs droits. Et tant mieux si cela doit passer par les mouvements MeToo. Car même en occident, les femmes continuent d’être vexées, malmenées, violées et vivent dans l’inégalité.
 
Fasséry Kamissoko : Peut-on concilier féminisme et droit des minorités sexuelles en tant que revendications communes, dans le parti pris de l’égalité au Maroc ?
 
Abdellah Taïa : Je ne vais pas raisonner de façon spéculative pour répondre à cette question. Je suis né homosexuel, entouré de mes sœurs. Tout ce qui m’a inspiré, nourri pendant des années dans le dénuement dans lequel nous vivions, c’étaient-elles, leur révolte, leur résistance, leur transgression. Donc en tant qu’homosexuel, je suis évidemment féministe.