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 d’ADHEOS

"Les Garçons et Guillaume, à table", long métrage de Guillaume Gallienne (avec Guillaume Gallienne) a été salué par la critique. Le film raconte l’histoire d’un garçon fasciné par sa mère qui n’hésite pas à se déguiser en Sissi l’impératrice. Pari réussi pour cette comédie française ? Julien Kojfer y a vu beaucoup de clichés.
À en croire bon nombre de critiques au cerveau grillé par des décennies de "Ch’tis" et autres "Camping", "Les Garçons et Guillaume, à Table !" a "la grâce comique et la justesse des premiers Woody Allen" selon "Première", est "une comédie décomplexée, vive et intelligente qui aborde de front le sujet de l’identité" ("L’Humanité"), ou encore une œuvre qui "réussit le mariage du rire et de l’émotion, du progressisme et de l’universel, [et qui] rapproche la marge du centre en abordant des questions lourdes de façon légère", nous explique "Les Inrocks". 
 
Guillaume Gallienne, nouveau messie de la comédie française ? 
 
Avec tout le respect que je dois à ce fabuleux acteur, je me vois dans l’obligation de tirer la sonnette d’alarme.  
 
Clichés, clichés, clichés  
 
Sous son vernis de comédie élégante et sensible certifiée par l’aura Comédie-Française (l’autre, celle du Palais-Royal) de son auteur, "Les Garçons et Guillaume" est en réalité une de ces grosses farces TF1 qui sacrifie récit, personnages et sujet sur l’autel du rire facile et s’étale sans la moindre arrière-pensée dans les clichés les plus consternants.  
 
Vendue comme un réquisitoire rigolo contre les préjugés et les idées toutes faites, "Les Garçons et Guillaume, à table !" s’est déjà attiré les éloges d’une bonne part de la communauté gay, toujours disposée à abandonner tout sens critique devant n’importe quelle ineptie vaguement estampillée homo. 
 
Mais comment ne pas grincer des dents devant ce récit qui se résume somme toute à un triomphe contre l’adversité – l’adversité étant dans ce cas précis l’hypothèse de l’homosexualité ?  
 
Face à un univers gay dépeint comme le septième cercle de l’enfer – ses seuls représentants dans le film sont trois arabes de banlieue agressifs adeptes des gang bangs et un étalon obsédé par la propreté et sa musculature grotesquement saillante – la femme révélatrice de l’hétérosexualité est filmée comme un ange salvateur qui vient libérer notre héros de ses abjects tourments.  
 
S’il n’est nullement question ici de prétendre que Guillaume Gallienne est un homophobe forcené, impossible de nier qu’à l’image caricaturale véhiculée par Toledano & Nakache dans "Intouchables", sa vision de l’homosexualité est porteuse des mêmes clichés que ceux qui ont façonné l’esprit des crétins dont il a subi les assauts pendant son adolescence.  
 
Dans la France post-manif pour tous, pas étonnant donc que le film fasse un carton. Pas d’inquiétudes à avoir : dans ce film qui prétend transgresser les barrières du genre, chacun reste gentiment à sa place. "Les Garçons et Guillaume, à table" ; les homos dans leurs boites glauques et leurs appartement surdécorés. Mais si chacun doit rester à sa place, les grands acteurs ne feraient-ils pas mieux de rester devant la caméra ?  
 
Un procédé anti-cinématographique  
 
Sous la direction de Gallienne réalisateur, "Les Garçons et Guillaume, à Table !" n’a pas grand chose d’un film. En effet, loin de procéder à une réelle transposition cinématographique de son spectacle, Gallienne se contente d’en reprendre le dispositif scénique – en gros, Guillaume seul sur scène raconte son histoire – et de l’illustrer en alignant un maximum de petits sketches comiques sans le début d’une idée de construction dramatique.  
 
Dénué d’ossature narrative, le film se repose quasi-intégralement sur la voix-off de Gallienne pour lier les différentes séquences, faire avancer son récit et procéder à l’exploration (expéditive) de ses thèmes. Un procédé anti-cinématographique au possible, dont la paresse force son auteur à expliquer en dernière minute tout ce qu’il aurait du montrer : une phobie des chevaux – centrale au dénouement du récit – dont on n’avait étrangement jamais eu vent, une "meilleure copine" tout droit sortie d’un autre film introduite à 5 minutes de la fin du film, un éclaircissement psychologisant des rapports entre Guillaume et sa mère qui ne cadre absolument pas avec ce qui a précédé.  
 
En effet, si Maman Gallienne chérit son garçon au point d’en avoir fait une fille pour qu’il ne regarde jamais une autre femme qu’elle, pourquoi ne lui inspire-t-il rien d’autre que de l’agacement ? Et si l’acteur Gallienne se livre à une imitation franchement hilarante de sa mère, il échoue en revanche complètement à l’incarner et à s’en distancier pour en faire un vrai personnage.  
 
N’est-ce pas un flagrant aveu d’échec que de faire apparaître une femme (sa vraie mère ?) lorsqu’il se décide enfin à ouvrir le robinet "émotion" ? En aurait-il éprouvé la nécessité s’il avait doté sa création de la moindre épaisseur ?  
 
Guillaume et encore Guillaume  
 
Incapable de s’extraire de lui-même, il a tiré de ce one-man show un film dans lequel il est tout aussi seul : une mère réduite à la perception schizophrène de son fils, des seconds rôles – Françoise Fabian, Brigitte Catillon ou Reda Kateb – cantonnés au statut de figurants de luxe, une absence totale de relations ou d’interactions un tant soit peu développées, juste Guillaume, Guillaume et encore Guillaume. Et si Guillaume parvenait sans doute sur la scène d’un théâtre à créer un climat d’intimité propice à ses confessions nombrilistes, cette éradication du monde extérieur provoque au cinéma un sentiment d’étouffement qui ne fait aucune faveur à son auteur. 
 
 
La seule excuse à tant de narcissisme serait que Gallienne porte un regard sans concessions sur lui-même (Xavier Dolan, anyone ?), mais le sociétaire de la Comédie-Française semble si préoccupé par l’idée de réaliser une œuvre grand public qu’il a préféré rester à l’extrême surface de ses thèmes, arrondir tous les angles et esquiver toutes les questions fâcheuses. 
 
 
Refusant obstinément de se confronter à son sujet, il se limite à aligner les anecdotes gag (et hop, un tuyau dans les fesses !), comme si la comédie n’autorisait pas la moindre observation intellectuelle ou émotionnelle. Et plutôt que d’affronter la noirceur potentielle de sa propre histoire, il se contente de sortir de son chapeau une résolution frisant le ridicule (maîtriser le cheval pour maîtriser son sexe et devenir enfin un homme !) qui n’éclaire en rien le portrait incomplet et expurgé qu’il dresse de lui-même. 
 
 
Sans doute conscient que le cinéma français n’a jamais vraiment su quoi faire de son physique improbable, de sa préciosité aristocratique et de sa très singulière théâtralité, Guillaume Gallienne a tout mis en œuvre pour obtenir le succès qui lui assurerait enfin la place qu’il mérite à la table du cinéma français. 
 
 
Quel dommage que cette louable détermination l’ait conduit à faire de son expérience unique un ersatz conformiste, destiné à faire rigoler le bourgeois en confortant obséquieusement ses idées reçues les plus rances.