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 d’ADHEOS

Nahema Hanafi vient de créer un master consacré aux rapports sociaux entre les sexes à l’université d’Angers. Les cours, pluridisciplinaires, sont dispensés à distance.
En cette rentrée scolaire, un master d’études sur le genre est lancé par cinq nouvelles universités (Angers, Nantes, Bretagne-Occidentale, Rennes-II et Maine). Une création qui témoigne de la montée en puissance de ce champ de recherche en France. ­Nahema Hanafi, maîtresse de conférences en histoire moderne et contemporaine, est à l’initiative de ce cursus en ligne développé à la faculté d’Angers. Elle décrypte le phénomène et explique pourquoi la France a dû rattraper son retard.
 
Plusieurs formations consacrées aux études sur le genre ont ouvert au cours de ces trois dernières années dans les universités françaises. Comment l’expliquer ?
 
Je crois que ces questions intéressent de plus en plus les enseignants-chercheurs français, issus de disciplines variées – que ce soit l’histoire, l’anthropologie, la littérature, la sociologie, le droit… Certains se sont regroupés et ont voulu créer des formations, comme à Bordeaux, Lyon, Toulouse. Aujourd’hui, on compte près de dix masters ou DU centrés sur ces thématiques. Ce mouvement a aussi été facilité par la nouvelle nomenclature des diplômes qui permet, depuis 2014, de proposer des masters d’études sur le genre. Avant, ces thèmes étaient dispersés dans différentes formations.
 
 
Le concept d’études sur le genre peut sembler flou. Comment le définissez-vous ?
 
Les études sur le genre ne se résument pas à l’analyse de la condition féminine. En fait, c’est une approche qui cherche à comprendre les rapports sociaux entre les sexes, la construction des notions de masculinité et de féminité, et utilise pour cela aussi bien l’histoire, l’anthropologie, la philosophie que la sociologie. On peut dire que les études sur le genre questionnent les rôles sexués, les représentations du féminin et du masculin, les rapports de domination, les émancipations possibles. elles invitent aussi à réfléchir au-delà de la binarité homme-femme, en prenant en compte les personnes trans et intersexe, et s’intéressent aux sexualités.
 
Pourquoi ces formations ont-elles eu du mal à trouver leur place en France alors qu’elles sont répandues depuis des années ailleurs, en particulier aux Etats-Unis ?
 
En France, il y a une longue tradition de questionnement autour des femmes et des rapports sociaux entre les sexes, que cela soit chez Simone de Beauvoir, Pierre Bourdieu, Françoise Héritier ou encore Colette Guillaumin. Mais ces études ne sont pas labellisées « études de genre » : elles sont dispersées dans différentes disciplines. Le concept d’études sur le genre implique une perspective très pluridisciplinaire, ce qui n’est pas vraiment dans la tradition académique française.
 
Ces études ont également eu du mal à se faire une place en France pour des raisons de culture politique. Se consacrer à des groupes sociaux particuliers, les femmes, les Noirs, les gays…, ne pose pas de problème aux chercheurs anglo-saxons. En France, notre pensée très universaliste va davantage masquer ce type de différences au nom d’une « république une et indivisible ». Questionner les rapports entre les groupes sociaux peut être vu comme une menace pour la cohésion sociale.
 
Si les études de genre ont eu du mal à gagner leur légitimité, n’est-ce pas parce qu’elles sont soupçonnées de s’inscrire dans une démarche militante ?
 
Oui, cet amalgame a souvent été fait. Il est vrai que ces études sont les héritières des travaux des jeunes historiennes ou sociologues des années post-Mai 68, souvent liées au MLF [Mouvement de libération des femmes]. Les liens intellectuels entre militantisme et recherche ont pu exister, et le peuvent encore, mais cela n’est en rien réservé aux études sur le genre. Aujourd’hui, les études sur le genre se sont institutionnalisées, elles sont soutenues par le CNRS, des postes spécifiques sont financés dans les universités, des revues scientifiques sur ces questions sont créées… Bref, elles ont gagné en visibilité et en légitimité, notamment parce qu’elles peuvent prendre pour objet d’analyse des questions très contemporaines – l’égalité des sexes, la procréation, etc. Mais cette méfiance, minoritaire, persiste, et certains continuent d’assimiler ces études davantage à une idéologie qu’à une réflexion scientifique. On retrouve ce problème de légitimité avec les études postcoloniales. Il faut bien sûr se demander qui porte cette critique et quels en sont les enjeux politiques.
 
Quelle sera la coloration du nouveau master d’études sur le genre que vous dirigez à l’université d’Angers ?
 
Après un master 1 généraliste, nous ouvrirons deux parcours de master 2. Le premier, baptisé « corps et biopolitique », sera centré autour du corps, des sexualités, des violences ou encore de la santé. Il est destiné à des personnes qui veulent devenir expertes de ces questions, enseigner, faire de la recherche. Le second parcours, plus professionnalisant, sera centré sur les discriminations. Il s’adresse à ceux qui veulent devenir chargés de mission égalité dans des entreprises, responsables du recrutement, qui veulent travailler dans des associations… Il y a une vraie demande de formation continue sur ces questions.
 
Pourquoi avoir choisi de lancer ce master à distance ?
 
Parce qu’il n’y a pas de formation équivalente. Ce master, qui rassemble 80 enseignants-chercheurs, permet à des personnes qui travaillent, qui sont peu mobiles ou habitent loin des villes universitaires de se former depuis chez elles. Chaque cours a été pensé de manière scénarisée, avec des textes, des images, des exercices en ligne. Nous utilisons des PowerPoint sonorisés, des vidéos, des sessions de classe virtuelle pour interagir en direct avec les étudiants. Même les examens se feront en ligne. Et, à la rentrée, nous réunissons tous les inscrits pendant deux jours, pour permettre au groupe de se connaître.
 
Cet article est extrait de notre dossier Universités & Grandes Ecoles sur les nouvelles tendances de l’enseignement supérieur paru dans « le Monde » daté du mercredi 20 septembre 2017.