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 d’ADHEOS

Une fois de plus la Gay Pride n’aura pas lieu dans les rues de Belgrade. Divers mouvements d’extrême droite ayant annoncé leur volonté de marcher contre la manifestation, initialement prévue aujourd’hui, Belgrade l’interdit donc pour la troisième année consécutive. Si la tenue du défilé est longtemps restée incertaine, les organisateurs se montraient vendredi matin pourtant très optimistes. La question pouvait toutefois légitimement se poser : invoquant de graves menaces à l’ordre public, les autorités serbes avaient annulé le rassemblement les deux années précédentes. "Nous avons décidé d’interdire l’événement en raison de sérieuses inquiétudes concernant la sécurité", expliqua le premier ministre serbe, Ivica Dacic (Parti socialiste), à la télévision nationale. "Ce n’est pas une capitulation face aux hooligans, mais une tentative d’empêcher le chaos dans les rues de Belgrade", a-t-il expliqué.
 
En juin 2001, la première Gay Pride organisée dans la capitale serbe se solda par de violents affrontements : les 50 policiers mobilisés pour assurer la sécurité des manifestants avaient été submergés par 2 000 hooligans et militants d’extrême droite.
 
En 2010, malgré un contingent policier cent fois supérieur, le centre de Belgrade fut de nouveau mis à sac par 6 000 contre-manifestants, laissant derrière eux 140 blessés.
 
Cette année, les autorités avait procédé au report des matchs de football prévus ce week-end ainsi qu’au retrait de certains panneaux de signalisation du centre-ville, par crainte de revoir des éléments violents s’en servir comme d’armes. Autant de précautions prises en vain, le premier ministre Ivica Dacic annonçant en soirée l’annulation de la manifestation.
 
Les associations LGBT ont immédiatement répondu en lançant un appel au rassemblement à 23 heures devant le bâtiment du gouvernement serbe. Portant une banderole titrant "ceci est une gay pride", ce cortège improvisé marcha en direction du Parlement, salué par quelques concerts de klaxons. Après s’être heurtés aux forces de sécurité aux abords du Parlement, les manifestants obtinrent finalement le droit de déposer symboliquement un drapeau arc-en-ciel de plusieurs mètres devant les marches du bâtiment. "Que vive la Serbie, que vive la Gay Pride !" clamèrent une poignée de militants.
 
"On ne s’y attendait pas du tout", affirma l’une des organisatrices, en tête de cortège. "Je ne sais pas ce qui va se passer par la suite, continua-t-elle. C’est une surprise totale et il faut qu’on s’organise. Ce soir, on est là, au moins on aura fait quelque chose. Quoi qu’il en soit, rien ne pourra nous empêcher de délivrer notre message. Tous ces gens ici ce soir se sont réunis de façon très spontanée, nous sommes supportés."
 
LA DÉFENSE DE LA FAMILLE "NATURELLE"
 
Comme chaque année à l’approche de l’événement, des graffitis hostiles à la communauté homosexuelle avaient fleuri sur les murs de la ville. Le mouvement d’extrême droite Nasi ("les notres", en serbe), distribuait ces dernières semaines un "guide de survie à la Gay Pride", qualifiant les homosexuels de "malades mentaux". Ce vendredi, le mouvement d’extrême droite Dveri, nationaliste et euro-sceptique, avait organisé un rassemblement de soutien aux valeurs traditionnelles orthodoxes et à la famille "naturelle".
 
Plusieurs politiciens serbes et quelques invités internationaux y prirent la parole, dont le français Fabrice Sorlin, président de l’association catholique traditionaliste Dies Irae. Il y appela à une union des peuples européens pour la défense des valeurs traditionnelles chrétiennes, insistant sur le fait que la Gay Pride n’était qu’une première étape vers le mariage homosexuel et l’adoption pour les couples de même sexe. "Je suis aussi venu ici pour vous apporter un message de soutien des Français qui luttent : il est clair que nous devons commencer dès aujourd’hui à créer une alliance internationale entre les peuples européens pour la défense des valeurs traditionnelles chrétiennes", a-t-il déclaré.
 
UN CLIMAT OSTENSIBLEMENT HOMOPHOBE
 
L’opinion publique serbe se montre largement hostile à la cause homosexuelle dans un pays très majoritairement orthodoxe. En 2012, Irinej, influent patriarche de l’église orthodoxe serbe, avait qualifié la Gay Pride de "parade tragicomique de la honte". Vendredi matin, il affirmait que "rien n’est plus menacé que le mariage et la famille en ces temps tragiques. Tous deux sont minés de manière planifiée, en particulier par la Gay Pride. […] Ce fléau est la dernière chose dont la société serbe avait besoin pour disparaître de la surface de la Terre".
 
D’après une étude conduite en 2010 par l’ONG Centre pour des élections libres et la démocratie, 67 % de la population serbe considère l’homosexualité comme une maladie, et 53 % en approuverait la "suppression par l’Etat de manière organisée". La situation de la communauté homosexuelle n’est pas meilleure dans le reste de la péninsule balkanique et plus généralement dans les pays de l’ex-bloc de l’Est : outre la récente loi de lutte contre la "propagande" homosexuelle adoptée en Russie, la première Gay Pride organisée au Monténégro voisin en juillet fut elle aussi le théâtre d’affrontements. Un climat homophobe récemment dénoncé par le réalisateur serbe Srdjan Dragojevic dans son film La Parade : une tragi-comédie tournant en dérision à la fois les propos homophobes et les clichés racistes dans l’ex-Yougoslavie, qui fut paradoxalement applaudie dans la région et sortit en salles en France en 2012, en pleine polémique sur le mariage pour tous.
 
Au sein du gouvernement, le message était loin d’être clair : seul le ministre chargé de l’intégration européenne, Branko Ruzi (Parti socialiste), avait annoncé vouloir se joindre au cortège. Si le premier ministre, Ivica Dacic, s’était cette année officiellement prononcé en faveur de la tenue de l’événement, déclarant que la parade ferait avancer la Serbie dans la direction de l’Union européenne, il avait toutefois refusé d’y participer. "Je supporte le droit constitutionnel de chacun d’exprimer sa différence, mais c’est mon droit de ne pas y aller", avait-il affirmé, ajoutant : "Devrais-je devenir gay pour montrer que je suis pro-européen ?" Une realpolitik pro-européenne que raille Vladan Glisi, chef du mouvement Dveri et organisateur de la contre-manifestation : "Quoi que Dacic dise de radical, il fait exactement l’opposé. C’est un opportuniste qui ne peut être considéré comme un homme politique sérieux."
 
La situation des gays et lesbiennes a pourtant pris un timide tournant positif ces dernières années en Serbie, avec l’adoption d’une série de mesures, dont une modification du code pénal portant au rang de crimes de haine les agressions motivées par l’orientation ou l’identité sexuelle. L’an dernier, la Cour constitutionnelle serbe avait déclaré inconstitutionnelle l’annulation de la Gay Pride en 2009. Un jugement qui fait dire aux associatifs qu’en annulant une nouvelle fois leur manifestation, la Serbie viole sa propre Constitution.
 
UN TEST D’ENVERGURE POUR BELGRADE DANS UN PROCESSUS DE RAPPROCHEMENT EUROPÉEN
 
L’Union européenne a affirmé à plusieurs reprises son attachement au respect des droits des homosexuels en Serbie, alors que Bruxelles s’apprête à mener des pourparlers directement avec Belgrade en vue de son adhésion. Dans son rapport sur la Serbie, la Commission européenne qualifiait l’annulation de la Gay Pride à Belgrade en 2012 de motif d’inquiétude pour son éligibilité en tant que membre de l’Union. "Une parade se déroulant dans la paix et la joie à Belgrade le 28 septembre, sécurisée comme il se doit par les autorités, serait un signal supplémentaire de l’engagement de la Serbie à créer une culture de tolérance et de diversité, et contrerait les discours haineux, la discrimination et la violence", selon les mots de l’ambassadeur néerlandais en Serbie dans une lettre adressée au premier ministre serbe au début de septembre 2013. Quatorze ambassadeurs de pays membres de l’Union imitèrent son initiative. La Gay Pride prenait donc cette année l’allure d’un test d’envergure pour le gouvernement serbe. Son annulation pour la troisième année consécutive sonne comme un désaveu quant à l’amélioration des droits des minorités en Serbie.
 
La Serbie a déposé un dossier de candidature d’adhésion à l’Union européenne en 2009 et a été déclarée candidate en 2012. Dans une volonté d’intégration européenne, le gouvernement serbe a fait de grands pas dans le sens de la réconciliation dans la région, en signant notamment un accord de "normalisation" de ses relations avec le Kosovo sécessionniste, que Belgrade considère toujours officiellement comme une province serbe. En avril, le président serbe, Tomislav Nikolic, a également présenté des excuses officielles à la télévision bosnienne concernant le massacre de 6 000 Bosniaques par l’armée des serbes de Bosnie à Srebrenica en 1995.