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 d’ADHEOS

Que reste-t-il de la "Manif pour tous" ? Quelques semaines après la promulgation de la loi autorisant le mariage et l’adoption pour et par les personnes de même sexe, le collectif, qui a réussi une mobilisation d’une ampleur impressionnante, notamment durant trois grandes manifestations, n’en finit plus de se déchirer.
 
Dernier signal en date, un communiqué ambigu de la puissante fédération des Associations familiales catholiques (AFC). Parties prenantes de la "Manif pour tous", les AFC rendent hommage à la mobilisation, mais appellent ensuite à un "deuxième acte, une nécessaire recomposition pour promouvoir – auprès des pouvoirs publics, dans des associations ou au sein des différents partis politiques – une certaine idée de l’homme : une ‘humanité durable’, une ‘écologie humaine’ ou ‘une société du lien’".
 
L’appel aux militants à s’impliquer désormais "dans la démocratie participative (via les associations) et représentative (dans les partis)" est cosigné par Pierre-Yves Gomez, économiste proche de Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita, association fondée par Christine Boutin, et qui lutte contre l’IVG (avec des méthodes parfois douteuses) et l’euthanasie. M. Derville, engagé de la première heure dans le collectif "Manif pour tous", s’en est éloigné depuis quelques semaines, pour se lancer dans la création d’un mouvement baptisé "Ecologie humaine", dont M. Gomez est le cofondateur.
 
LE "PRINTEMPS FRANÇAIS" POURSUIT SA RADICALISATION ET S’ISOLE
 
Ce communiqué, d’apparence anodine, a été très mal vécu par l’aile droite de la "Manif pour tous" , celle du "printemps français", des "Hommen", "Camping pour tous" et autres groupuscules adeptes de méthodes de contestation plus radicales. Cette aile droite – constituée un peu avant la manifestation du 24 mars autour de Béatrice Bourges, ancienne porte-parole de la "Manif pour tous" – tente de multiplier les actions, alors même que la loi est votée, et manie une réthorique radicale, faite de contestation de la légitimité du pouvoir, avec un vocabulaire désignant par exemple les CRS comme "les forces aux ordres du régime", ou dénonçant le "diktat de l’idéologie marchande".
 
Derrière cette nébuleuse s’agite une galaxie complexe et entremêlée de chrétiens traditionnalistes (le mouvement Civitas, mais aussi des blogs comme "Le Salon beige" ou "Le Rouge et le Noir"), de mouvements d’ultra-droite comme les Identitaires, mais aussi de quelques militants et responsables UMP, isolés au sein de leur parti, comme Samuel Lafont. Sans but clairement défini au-delà d’un hypothétique retrait de la loi sur le mariage, le "Printemps français" cherche à peser sur la droite, comme le montre cette affiche, récemment publiée, appelant à un rassemblement contre la loi, mais où Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate UMP à Paris, figure parmi ceux dont le groupuscule promet que "ça va être leur fête".
 
Dernière composante active de la lutte anti-mariage avec les quelques dizaines de "veilleurs" qui poursuivent des sit-in nocturnes dans plusieurs villes de France, le "printemps français" semble avoir du mal à mobiliser. Sa dernière idée, le "Tour de France pour tous", qui visait à venir s’afficher avec drapeaux et slogans à chaque étape de la compétition cycliste, a surtout valu à ses organisateurs de recevoir, sur leur page Facebook, des messages de colère, exprimée sous la forme du ":poop:", un code qui permet d’afficher une petite image d’excrément…
 
Plus que l’hostilité suscitée par le projet de perturber un événement sportif populaire, c’est la faiblesse du nombre de militants "printemps français", incapables de contrer leurs opposants sur leurs propres pages, qui est notable. Un signe parmi d’autres de l’essoufflement du mouvement, réduit désormais aux plus engagés de ses partisans.
 
DÉPARTS EN SÉRIE
 
Le communiqué des associations familiales catholiques leur a valu un billet très énervé sur le site militant "libéral-conservateur" "Nouvelles de France", relai actif du "printemps français". Titré "Un traître, c’est toujours quelqu’un qui était un ami", et signé d’une "Brigitte Farjot", il dénonce un "appel implicite à déserter les bataillons", et estime que "les catholiques du mouvement familial, du courant pro-vie et du Parti socialiste ont décidé de signer un pacs à trois, en présence des maires pour l’enfance qui leur liront le code civil version Taubira".
 
Ce billet rappelle les précédents déchirements au sein de la "Manif pour tous", dont l’exclusion, quelques jours avant la manifestation du 24 mars, de l’activiste chrétienne traditionnaliste Béatrice Bourges, fut le premier signe. Comme l’avait démontré LeMonde.fr, pourtant, la volonté de Mme Bourges d’occuper les Champs-Elysées avait été soutenue, quelques jours plus tôt, par Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot, porte-parole médiatique du mouvement.
 
Suite à ce premier accroc, les dissensions s’étaient multipliées autour de la revendication ou non d’un "contrat d’union civile" en lieu et place du mariage gay. Soutenue par Frigide Barjot et ses proches au sein du mouvement, cette proposition avait suscité la colère de Christine Boutin et de son Parti chrétien-démocrate, mais aussi de toute l’aile droite du mouvement, qui refuse jusqu’au qualificatif même de "couples homosexuels", préférant les qualifier de "paires". Au point que Frigide Barjot, objet de menaces nombreuses, avait hésité à se rendre à la dernière grande manifestation, le 24 mai, de crainte de "semer le trouble" et d’être empêchée de s’exprimer.
 
Au soir de la manifestation du 26 mai, Mme Tellenne avait jugé que "La Manif pour tous a[vait] fait son temps", et dénoncé un "politburo" de l’organisation au sein duquel elle n’était plus entendue. Opposé au contrat d’union civile, Tugdual Derville a lui aussi quelque peu pris ses distances avec le mouvement pour se consacrer à sa propre structure, "Ecologie humaine".
 
Dernier facteur d’éclatement : la perspective des municipales. S’ils n’ont pas atteint leur but, certains militants "Manif pour tous" ont tout fait pour que Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate archifavorite de la primaire UMP à Paris, soit battue au profit de candidats anti-mariage. Au sein de l’UMP, pourtant, cette ligne a déplu, et Guillaume Peltier, jeune animateur de la "droite forte", venu du MPF de Philippe de Villiers, qui avait poussé les feux contre NKM, a été rappelé à l’ordre, tandis que la plupart des ténors du parti admettent qu’ils ne reviendront pas sur la loi en cas de retour au pouvoir.
 
CHANGEMENT DE CASTING
 
Isolé du gros des troupes de la "Manif pour tous", et impopulaire alors qu’une nette majorité de sondés estime que, la loi étant votée, il n’est plus utile de la contester, le mouvement multiplie les rendez-vous et les promesses d’actions (pour le 14-Juillet, par exemple), mais il suffit de constater le peu de messages Twitter qui se revendiquent du hashtag #printempsfrancais, émanant essentiellement d’une vingtaine de militants, pour voir que la mobilisation retombe.
 
De la petite vingtaine d’associations à l’existence réélle (sur 37 officiellement revendiquées) qui animaient la "Manif pour tous", ne restent donc que quelques composantes, le plus souvent proches des mouvements traditionalistes. On peut citer Elizabeth Montfort, ancienne eurodéputée villiériste à l’initiative du "nouveau féminisme européen", l’un des groupes luttant contre les "dangers" d’une prétendue "théorie du genre" ; Ludovine de la Rochère, présidente de la Manif pour tous, qui fut chargée de communication à la Conférence des évêques de France, puis à la Fondation Jérôme-Lejeune, qui lutte contre l’avortement.
 
Les deux élus de droite qui figurent encore dans les porte-paroles – Franck Meyer des "Maires pour l’enfance" et Philippe Brillault, maire du Chesnay 78) – sont eux aussi des chrétiens revendiqués. Restent Jean-Pierre Delaume-Myard, homosexuel anti-mariage, qui remplace Xavier Bongibault (parti avec Frigide Barjot) à la tête du "collectif" Homovox, supposé représenter les homosexuels opposés à la loi. Ancien étudiant de la Faculté catholique de Lyon, auteur de documentaires, M. Delaume Myard écrit depuis quelques années des contes pour enfant, comme "L’étoile où habitait Dieu" ou "Braille Grenouille".
 
L’avenir du mouvement, qui semblait un temps tenté par une transformation en composante politique dans la perspective des municipales, semble désormais incertain. Si le site officiel de la "Manif pour tous" continue de relayer les appels aux "accueils" de ministres et du chef de l’Etat, et de dénoncer la "répression policière" du mouvement, le syncrétisme qui avait un temps réuni traditionalistes, jeunesse chrétienne, "peuple de droite" et même quelques militants musulmans et juifs, semble désormais révolu.
 
Signe de la confusion qui règne au sein du collectif : Alliance Vita, les AFC, Maires pour l’enfance et la Manif pour tous ont cosigné, depuis la page Facebook de l’antenne parisienne du collectif, et non depuis la page officielle, un communiqué commun expliquant qu’il ne fallait pas voir dans le communiqué des AFC un signe "d’éloignement". La même déclaration insiste sur le fait que "certains cherchent à déstabiliser" le mouvement, qui "attire des convoitises", et promet de nouvelles actions "dans les semaines et les mois qui viennent".