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 d’ADHEOS

Comment font les enseignants homosexuels pour concilier leur vie privée et leur profession ? Comment gérer les réactions, parfois négatives, des collègues, des élèves ? Nous sommes allés à la rencontre de trois professeurs. Deux d’entre eux nous ont fait part d’un certain malaise…
 
 
L’enseignant avait refusé le poste et s’en était expliqué sur Facebook, disant qu’il était fier de ce qu’il était et qu’il ne voulait pas le cacher.
 
Nous avons voulu savoir si ce cas était une exception. Est-ce difficile de concilier la profession d’enseignant avec une orientation sexuelle "autre" ? Nous sommes allés à la rencontre de trois enseignants, non hétérosexuels, qui nous ont fait part de leurs expériences. Parfois malheureuses, parfois sans problème. Mais ce qu’il ressort de ces entretiens est en tout cas un certain malaise. 
  • Alessandro, enseignant dans une école spécialisée 
Alessandro, la trentaine, est professeur depuis quelques années dans une école spécialisée pour adolescents déficients mentaux. Dans cette école, tout le monde est au courant de son homosexualité et cela n’a jamais posé de problème. Mais cela n’a pas toujours été le cas…
 
Au tout début de sa carrière, Alessandro travaillait dans une école "huppée" du Brabant Wallon. Alors qu’il n’avait pas affiché ou signalé son homosexualité, il s’est fait convoquer à la fin de l’année dans le bureau du directeur.
 
Suite à cette mauvaise expérience, il a abandonné l’enseignement pendant quelques années. "Je me suis dit : ‘j’abandonne, ma sexualité va toujours poser problème’. C’est très difficile à accepter, car ce n’est pas un problème de compétences, mais d’identité".
 
Si Alessandro a choisi de ne pas dévoiler son visage dans la vidéo, c’est pour préserver sa mère, qui travaille dans un milieu homophobe, nous a-t-il dit. Car aujourd’hui, il ne cache pas son orientation sexuelle dans l’école dans laquelle il enseigne.
 
Le cas de David Degreef l’a d’autant plus choqué qu’il estime que l’école doit justement former "à la citoyenneté et à la différence". Et que savoir que l’un des professeurs est homosexuel pourrait aider certains élèves à également mettre un mot sur ce qu’ils ressentent et vivent, en ayant un référent pour en parler… 
  • Aurélie, enseignante de mathématique dans le secondaire à Bruxelles 
L’expérience d’Aurélie, bisexuelle, est plus heureuse. Elle n’a jamais eu à subir de discrimination, nous dit-elle.
 
Mais elle explique, que dans son école, au public mélangé, les réactions des élèves face à l’homosexualité peuvent être violentes, en tout cas verbalement : insultes, incompréhension, clichés…
 
Cependant, nous explique-t-elle, il est possible d’en parler. "Les élèves ont des problèmes avec l’homosexualité, mais jamais avec une personne homosexuelle". Elle cite ainsi l’exemple d’une professeure homosexuelle. "Les élèves le savent. Ils voient cette personne en tant que personne. Ils sont plus du côté humain, que du côté étiquette".
 
Aurélie, elle, a fait le choix de ne pas parler de sa vie privée à ses élèves. "Ce n’est pas un tabou. Mais je pense qu’un professeur doit éviter de parler de sa vie privée". Elle est par contre pour le débat autour des différents formes de sexualité, nous explique-t-elle.
  • Camille (prénom d’emprunt), enseignante de français dans une école secondaire  
Camille (prénom d’emprunt) a, elle, préféré rester complètement anonyme et a refusé d’être filmée. Si elle n’a pas vécu d’expérience de discrimination, elle a cependant peur que ses collègues ou ses élèves découvrent son homosexualité. "Quand j’ai commencé à travailler, j’étais avec un homme, j’étais fière de le présenter", nous explique-t-elle. "Mais maintenant, avec ma compagne, nous faisons super attention. Je dis ‘il’ quand je parle d’ ‘elle’. Nous nous rejoignons trois rues plus loin à la sortie des cours…"
 
Pourquoi cette peur ? "Il y a plusieurs faits que j’ai entendus…". Et de citer l’exemple de L’Institut des Filles de Marie, où en 2011, des élèves s’en étaient violemment prises à la sous-directrice lesbienne, après une histoire de vol dans les vestiaires du cours de gym, la traitant de "gouine", de "perverse". Elle avait finalement quitté l’école.
 
Cette histoire a choqué Camille, l’a effrayée. "J’aurais peur que mes élèves ne me considèrent plus de la même manière. J’aurais peur qu’on voit quelque chose de malsain dans les contacts que j’ai avec les élèves de façon tout à fait normale maintenant".
 
Elle a également peur de la réaction de ses collègues. "J’ai peur de choquer certains collègues, à cause de leur conviction que je connais, de propos que j’ai entendus dans la salle des profs au moment du ‘Mariage pour tous en France’, j’aurais peur qu’on m’accorde moins de crédit…"
 
L’histoire de David Degreef l’a également profondément heurtée. "J’étais triste et révoltée. Ils ont parlé de neutralité. Donc la neutralité, ça revient à être hétéro. Je me suis sentie super insultée. Alors que justement on essaie d’inculquer le respect aux enfants… "
 
Elle constate : "L’école joue un rôle très puissant dans la reproduction de la norme alors que dans les programmes, on parle de développement personnel de l’élève…"
 
Cependant, note-t-elle, les homosexuels ne sont pas les seuls à subir des discriminations. "Quand je vois mes collègues musulmanes, elles souffrent également de discriminations. Les parents leur font moins confiance. Les élèves leur parlent en arabe, comme pour leur dire : ‘On est du même milieu toi et moi, donc ne te la joue pas prof’".
 
Et de conclure sur un regret : "Si quelqu’un qui dit : ‘j’ai passé les vacances à la mer avec mon mari, c’est normal. Moi c’est triste, je ne pourrai jamais faire ça sans avoir peur de choquer".