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 d’ADHEOS

Tee, 34 ans, se remémore avec nostalgie l’époque où la Tanzanie était "une sorte de paradis" pour les LGBT – avant l’élection en 2015 du président John Magufuli qui a ouvert une période de peur et de persécution.
 
Certes, les relations homosexuelles y étaient de longue date lourdement réprimées pénalement et la stigmatisation a toujours existé, mais sous les gouvernements précédents, l’homosexualité ne faisait pas partie du débat public.
 
La situation des LGBT était même en léger progrès, avec la participation de la communauté à des discussions sur la santé et la lutte contre le sida.
 
"A l’époque, la Tanzanie était une sorte de paradis … Nous profitions de la vie, les gens sortaient, allaient dans les bars, tenaient des réunions publiques, sans craindre personne. Nous pouvions participer à des réunions gouvernementales", raconte Tee, un militant des droits homosexuels.
 
"Mais maintenant nous n’osons plus sortir. Nous devons nous cacher", a-t-il expliqué à l’AFP dans une interview au Kenya voisin, sous un nom d’emprunt, par crainte pour sa sécurité.
 
Depuis 2016, les autorités tanzaniennes ont effectué de nombreuses descentes de police contre des réunions privées d’organisations LGBT, arrêté des homosexuels présumés dont certains ont subi des examens anaux, et ont gelé des programmes de santé et de prévention du sida cruciaux.
 
Tee, arrêté lors d’une de ces opérations, a réussi à échapper à ces examens forcés en reconnaissant qu’il était homosexuel, mais a dit avoir vu de jeunes hommes en sortir traumatisés, ainsi que par des tests de dépistage du sida imposés et sans accompagnement psychologique.
 
– Discours moralisateurs –
 
Dans un rapport publié lundi, intitulé "Si nous ne recevons pas de soins, nous allons mourir", Human Rights Watch (HRW) dénonce la répression des LGBT sous M. Magufuli.
 
"Les autorités tanzaniennes ont lancé une campagne systématique contre les droits des LGBT, y compris leur droit à la santé", a affirmé Neela Ghoshal, chercheuse spécialisée dans les droits des LGBT pour HRW.
 
Selon HRW, la répression a commencé lorqu’une femme transsexuelle a parlé sur une télévision locale de son travail avec des organisations de la société civile qui fournissent des préservatifs et des lubrifiants.
 
Accusée par un député de "promouvoir l’homosexualité", la télévision en question avait dû présenter des excuses.
 
Dans les jours qui ont suivi, en octobre 2018, le gouverneur de la province de Dar es Salaam, la capitale économique du pays, Paul Makonda, avait appelé publiquement à dénoncer les homosexuels, promettant de les arrêter, ainsi que ceux qui les suivaient sur les réseaux sociaux.
 
Peu après, le ministère de la Santé avait interdit la vente de lubrifiants hors des hôpitaux publics.
 
Le gouvernement avait également fermé, au nom de la lutte contre la "promotion de l’homosexualité", de nombreux centres établis par des ONG de dépistage et de consultations sur le sida, distribuant des anti-rétroviraux, des préservatifs et des lubrifiants, considérés comme des espaces protégés pour la communauté LGBT.
 
Comme beaucoup de LGBT interviewés par HRW, Tee, qui est séropositif, a témoigné avoir connaissance de nombreux cas de personnes décédées du sida après avoir cessé de prendre leurs médicaments.
 
Selon lui, les hôpitaux gouvernementaux "stigmatisent les gens qui vont se faire soigner. Il y a beaucoup de discours moralisateurs, de paroles négatives de la part des personnels de santé. Ils vous disent comment vous devez vivre".
 
Une militante transsexuelle et travailleuse du sexe, qui s’est identifiée comme Queen M., 31 ans, a affirmé à l’AFP avoir été tournée en ridicule dans des hôpitaux publics.
 
– Accusations d’autoritarisme –
 
Selon Queen M., les femmes transsexuelles sont de plus en plus ciblées par la police.
 
"Une fois, je rentrais de boîte de nuit, en robe courte. Je n’avais pas d’argent" pour payer les policiers, se souvient-elle.
 
"Ils ont dit +Si tu n’as pas d’argent, qu’est-ce que tu peux offrir d’autre?+ J’ai été obligée de coucher avec cinq d’entre eux cette nuit-là".
 
Queen M. a indiqué connaître beaucoup de malades du sida qui ont cessé leurs traitements. D’autres, qui continuent à les prendre, ont pourtant vu leur charge virale augmenter, "à cause du stress et de l’auto-stigmatisation", et "finissent par mourir".
 
Le président Magufuli a été salué pour sa lutte contre la corruption, mais s’est attiré de nombreuses accusations d’autoritarisme envers les médias, l’opposition et la société civile.
 
En 2018, il avait promis à la Banque mondiale, qui avait gelé des missions en Tanzanie en raison des discriminations contre les LGBT, que le gouvernement cesserait toute action discriminatoire sur la base de l’orientation sexuelle. La Banque mondiale avait ensuite levé le gel des missions.
 
Le Danemark est également revenu sur le blocage d’une aide de 10 millions de dollars pour cause de violations des droits de l’homme.
 
Mais HRW affirme dans son rapport que rien n’a changé et appelle les donateurs à "tenir le président Magufuli pour responsable de ses engagements".
 
Le département d’Etat américain a interdit vendredi d’entrée aux Etats-Unis le gouverneur de Dar es Salaam et son épouse, pour l’implication de M. Makonda dans des violations flagrantes des droits de l’homme".