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 d’ADHEOS

Deux ressortissants français et leurs maris ont été contraints de quitter brutalement la Tunisie après avoir été informés par le consulat général de France qu’ils risquaient d’être arrêtés pour homosexualité. Ils mettent en cause les pouvoirs publics et réclament de l’aide.
 
« Ce qui nous est arrivé pourrait être adapté en film ». Ce sont les premiers mots de Christophe à TÊTU, alors qu’il s’apprête à raconter son histoire, la gorge nouée. Des lignes téléphoniques sous écoute; une surveillance quotidienne de la police pendant six mois; une arrestation imminente pour homosexualité. Ces informations brutales ont été délivrées à son ami Thierry, ressortissant français vivant en Tunisie depuis 2013, par le consulat général de France à Tunis. Elles ont chamboulé leurs existences du jour au lendemain ainsi que celles de leurs conjoints, Mehdi*, un Tunisien marié à Christophe, et Yoan, originaire de l’Île Maurice, pacsé avec Thierry.
 
Un hôtel fréquenté par les ambassadeurs
 
En 2013, les quatre hommes ouvrent un hôtel-restaurant dans le Nord de Tunis. Ce lieu, fréquenté par une clientèle riche et expatriée, « n’a rien d’un établissement gay », précise Christophe à TÊTU. Plusieurs ambassadeurs ont leur table – Libye, Etats-Unis, France… Selon eux, le consulat entier venait y dîner. On pouvait aussi y croiser des représentants d’ONG, des chefs d’entreprise, et des touristes plutôt fortuné.e.s.
 
L’hôtel embauche jusqu’à huit salarié.e.s durant l’été, en plus des deux couples qui le dirigent. « Nos salariés n’étaient pas au courant pour nous mais ce sont des gens ouverts d’esprit. En Tunisie, on entendait parler toutes les semaines d’histoires d’arrestations d’homosexuels. » L’hôtel héberge aussi les nombreux chats persans des deux couples ainsi que la mascotte du lieu, le petit chien Max.
 
Début octobre 2017, Thierry reçoit un coup de fil du consulat : « Venez récupérer le papier que vous avez demandé », retranscrit-il à TÊTU. Thierry n’a jamais demandé de papier. Inquiet, il se rend au consulat où il raconte être entré « par la porte de derrière » pour ne pas être vu. Sur place, il trouve aux côtés des membres du consulat une juriste ainsi qu’une assistante sociale, tout le monde arborant un teint « livide » dans son souvenir. Leur dossier est sur le bureau du chef de la police, il faut quitter la Tunisie dans les plus brefs délais.
 
« Le but de la police était de nous prendre en flagrant délit dans les chambres, de venir le matin tôt ou le soir tard et de nous embarquer. » Thierry se replonge pour TÊTU dans les jours qui ont suivi ce rendez-vous secret au consulat : « On a eu très peur. On s’est dit qu’on ne pouvait pas rester avec la peur d’une arrestation au quotidien. On a organisé un déménagement de fortune dans l’urgence avec des sacs poubelles, que nous transportons chez un couple de confiance pas loin de la villa. Nous passons seulement une heure ou deux par jour à l’hôtel, à des heures où on risquait moins d’être arrêtés, avec un stress horrible à chaque passage. Nous ne dormons plus à l’hôtel pour éviter une arrestation de nuit. Nous n’utilisons plus nos téléphones pour communiquer avec nos amis et nos familles. Afin de communiquer les événements importants, nous demandons à un ami tunisien de prendre une puce à son nom.
 
 
Le 22 octobre, Thierry et Yoan prennent un bateau pour gagner le port de Gênes, en Italie. Ils entrent « rassurés » sur le sol français le lendemain, et rejoignent Christophe et Medhi qui, eux, n’ont même pas pu dire au revoir à l’hôtel…
 
Mise en cause des services de l’Etat
 
Pour Christophe, il est fort probable que les deux couples aient été dénoncés aux autorités par le voisinage. En particulier par une femme qui voulait monter une affaire avec eux, affaire que Mehdi aurait déclinée. Pour se venger, elle aurait constitué un dossier « prouvant » l’homosexualité des quatre hommes. Christophe et Thierry ont fourni à TÊTU les traces de ses menaces, la femme leur réclamant par exemple des photos de leurs mariages et pacs respectifs en France car elle pourrait « en avoir besoin un jour ».
 
« Le consulat nous a dit que nous n’aurions jamais dû ouvrir un hôtel en Tunisie, que nous étions conscients de la pénalisation de l’homosexualité ». Christophe et Thierry reprochent aux services de l’Etat de n’avoir pas cherché à les protéger. Ils ont en particulier fait appel à l’ambassadeur de France en Tunisie, Olivier Poivre d’Arvor, en utilisant les moyens officiels et personnels, lui écrivant notamment des messages sur sa page Facebook. Une source proche du dossier affirme en revanche à TÊTU que les deux hommes n’auraient pas réclamé l’aide du consulat avant de quitter le territoire.
 
Aujourd’hui, Mehdi est censé rentrer tous les trois mois pour ses papiers en Tunisie, or il se mettrait en danger d’arrestation immédiate. Selon Christophe et Thierry, une « avocate de l’ambassade » les a informés que leurs autorisations de séjour avaient été détruites. Les quatre hommes ont donc perdu tout ce qu’ils avaient investi pendant cinq ans.
 
Précarité
 
Les deux couples ont retrouvé un appartement à La Rochelle. Ils ont d’abord été hébergés plusieurs semaines par la mère de Christophe. Yoan et Mehdi sont dans l’impossibilité de travailler, n’ayant pas encore de carte de séjour. Pour ne pas rester inactifs après ces années de travail acharné à l’hôtel, ils se sont inscrits comme bénévoles aux Restos du cœur.
 
Le centre LGBT Poitou-Charentes ADHEOS « soutient naturellement ces couples binationaux réfugiés à La Rochelle et demande au Préfet de Charente-Maritime de satisfaire rapidement leurs demandes administratives quant aux conjoints étrangers afin de faciliter leur insertion professionnelle. »