NEWS
Les actualités
 d’ADHEOS

En plein centre-ville, une paire de fesses géantes signées Reiser côtoient deux ex-présidents caricaturés en pénis… dans les rues d’Angoulême s’affichent les unes gouailleuses, provocantes et très crues de Charlie Hebdo, placardées sur les panneaux électoraux -un comble pour un journal volontiers anarchiste.
 
Au Festival de la BD qui se tient jusqu’à dimanche dans la ville, l’assassinat de Cabu et Wolinski, chefs de file de toute une génération de caricaturistes, ainsi que de leurs collègues Charb, Tignous et Honoré, tués dans l’attentat du 7 janvier contre l’hebdomadaire satirique, reste dans toutes les mémoires.
 
Avec les mesures de sécurité omniprésentes qui obligent les milliers de visiteurs à attendre 20 minutes pour passer des contrôles dignes d’un aéroport, impossible d’ailleurs d’oublier le drame.
 
Quelques commerçants d’Angoulême ont aussi mis des unes du journal en devanture, comme cette agence de tourisme du centre-ville qui a remplacé ses affiches promotionnelles par des dessins de Charlie.
 
Des années plus tard, leur mélange de satire politique et de pornographie potache fait toujours mouche: c’est pour rendre hommage à cet "esprit Charlie", pétri d’irrespect, que le Festival lui consacre jusqu’au 8 mars une grande exposition.
 
500 documents, dont des planches géantes des dessinateurs morts et vivants de l’hebdomadaire -Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Honoré, Catherine, Reiser, Luz…- montrent combien Charlie s’est attaqué avec outrance et délectation à toutes les religions et toutes les institutions.
 
"L’humour en choquant fait passer des messages", commente Anne, venue voir l’exposition avec ses enfants. "Le rire est universel, c’est pour cela qu’il est important d’en parler aux enfants."
 
"Ils s’en prennent à tous les sujets d’actualité. Si on réfléchit, ça ne choque pas. Mais au premier degré, ça peut choquer", remarque Cécile, une trentenaire qui, comme Anne, ne connaissait pas Charlie Hebdo avant l’attentat.
 
Impact terrible
 
Curés, rabbins, pape, imams, présidents, hommes et femmes politiques de droite, d’extrême droite, de gauche, tous en prennent pour leur grade. Des titres grinçants et vengeurs, toujours au second degré, dénoncent pêle-mêle l’homophobie, la pédophilie ou le racisme.
 
Les quelques caricatures de Mahomet ne sont ni cachées ni mises en exergue, mais intégrées à l’histoire du journal, expliquent les organisateurs.
 
"On commence à prendre conscience que l’esprit de Charlie Hebdo et de son ancêtre Hara Kiri ont eu un impact énorme sur l’humour en France. En dérivent un Pierre Desproges ou un Coluche, mais aussi Groland ou les Nuls et plus globalement l’esprit Canal", estime Jean-Pierre Mercier, un des responsables de l’exposition. "Avec un talent incroyable, leur humour était brutal, fait pour dénoncer. Cavanna parlait de dessins comme un coup de poing dans la gueule."
 
"Leur mort a eu un impact terrible dans le monde des dessinateurs. Certains m’ont appelé en pleurs. Pour beaucoup, ils ont été des modèles. On a vu d’ailleurs avec tous les dessins hommages, que faire du Charlie Hebdo, des dessins qui tapent juste, ce n’est pas si facile…" conclut-il.
 
"L’attaque contre Charlie Hebdo, c’est une ingérence de l’intolérance", analyse tristement le dessinateur François Boucq. "Pour la nouvelle génération, c’est une opportunité pour prendre conscience que la liberté d’expression doit s’entretenir."
 
Même consternation parmi l’équipe du mensuel Fluide Glacial, cousin de Charlie Hebdo par son humour souvent provocateur.
 
Son directeur, le dessinateur Lindingre, se souvient du jour du drame. "Je devais revoir Wolinski le jour même pour récupérer un dessin. J’ai appelé les uns et les autres, pour savoir qui était en vie, qui était mort… je croyais que tout cela ne pouvait pas arriver en France, je me marrais doucement quand je voyais Charb avec ses gardes du corps. On fait de l’humour et des gens nous prennent au premier degré."
 
Les dessinateurs étrangers eux aussi ont été frappés par ce massacre. Le mangaka japonais Jirô Taniguchi, objet d’une rétrospective à Angoulême, a parlé d’un "très grand choc".
 
"S’ils avaient tué des journalistes de l’écrit, il y aurait eu une moins grande mobilisation. Mais le dessin fait partie de notre enfance", résume le dessinateur canadien Guy Delisle.