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 d’ADHEOS

Il y a près d’un an, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) refusait de condamner la France dans une affaire similaire, Gas et Dubois c. France (lire Adoption par le second parent au sein d’une famille homoparentale: la CEDH refuse de condamner la France), elle vient d’opérer un changement de jurisprudence qui pourrait se révéler décisif. La CEDH a en effet condamné ce matin, mardi 19 février, l’Autriche, dont les tribunaux ont refusé de prononcer l’adoption d’un enfant par la compagne de sa mère.
 
Dans les deux affaires, le point de départ est le même: un couple de femmes élève, ensemble, l’enfant né de l’une des deux. La compagne de la mère souhaite adopter l’enfant et en devenir officiellement parent. Mais alors que dans l’arrêt Gas et Dubois la Cour avait estimé qu’il n’existait pas de différence de traitement liée à l’orientation sexuelle (en France, l’adoption simple est également fermée aux couples hétérosexuels non mariés, le fait pour un couple homo de ne pas pouvoir se marier n’est pas, pour la CEDH, une discrimination), elle se trouvait ici dans une situation différente, comme l’expliquait à Yagg l’avocat Robert Wintemute en mars 2012:
 
«En Autriche, l’adoption par le parent social est ouverte aux concubins hétéros mais pas aux concubins de même sexe. Dans ce dossier il y a une discrimination directe, fondée sur l’orientation sexuelle. En France, c’était plus compliqué, parce qu’en se comparant à un couple marié, il s’agissait d’une discrimination indirecte.»
 
Robert Wintemute représentait dans l’affaire actuelle, comme dans l’arrêt Gas et Dubois, un certain nombre d’ONG (Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH), Commission internationale de juristes (CIJ), ILGA-Europe, British Association for Adoption and Fostering (BAAF), Network of European LGBT Families Associations (NELFA), et European Commission on Sexual Orientation Law (ECSOL)).
 
La Cour a d’ailleurs pris grand soin de préciser que la situation des requérantes «au regard de l’adoption coparentale n’est pas comparable à celle d’un couple marié», rappelant les jurisprudences Gas et Dubois c. France et Schalk et Kopf c. Autriche. Elle estime en revanche qu’elle est bien comparable à celle d’un couple hétérosexuel non marié, un fait que le gouvernement autrichien ne contestait pas, «concédant que, en termes de personnes, les couples homosexuels et les couples hétérosexuels sont en théorie tout aussi aptes ou inaptes les uns que les autres à l’adoption en général et à l’adoption coparentale en particulier».
 
INTÉRÊT DE L’ENFANT
L’Autriche soutenait en revanche qu’il n’y avait pas discrimination pour autant. Selon le gouvernement, le refus de l’adoption simple aurait été motivé par l’intérêt de l’enfant (né d’une relation hétérosexuelle et reconnu par son père, avec lequel tout lien juridique serait effacé en cas d’adoption par la compagne de la mère). Mais pour la CEDH, «le fait que l’adoption souhaitée par les intéressés était juridiquement impossible [en raison de leur orientation sexuelle, ndlr] n’a cessé d’être au centre de l’examen de l’affaire par les juridictions nationales» et c’est pour cette raison que les juridictions nationales n’ont jamais étudié concrètement, dans cette affaire, la question de l’intérêt de l’enfant.
 
Dans un communiqué, les organisations qui s’étaient jointes à l’affaire rappellent qu’à l’heure actuelle, l’adoption par le parent social est possible dans 11 pays européens (Allemagne – dont la Haute Cour constitutionnelle vient d’ailleurs de rendre un arrêt important en la matière –, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Islande, Pays-Bas, Norvège, Royaume-Uni, Slovénie, Suède) et que la France, le Luxembourg et la Suisse envisagent de l’ouvrir également. «De plus, souligne le communiqué, il découle de l’arrêt de la Cour que la législation de l’Autriche, d’Andorre, de certaines provinces de Bosnie Herzégovine, du Liechtenstein, du Portugal et de Roumanie devront être modifiées pour permettre l’adoption par le parent social dans une famille homoparentale puisque ces pays l’autorisent aux couples hétérosexuels non mariés.»
 
«JOUR IMPORTANT»
«C’est un jour important pour les familles LGBT européennes, a déclaré Juha Jämsä, vice-président de Nelfa. Nous avons grand espoir que cette affaire conduira à une meilleure reconnaissance des droits de nos enfants dans toute l’Europe. Aucune catégorie d’enfants ne devrait être victime de discrimination en raison de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou de l’expression de genre de ses parents.»
 
«C’est un pas supplémentaires que franchit la Cour sur le chemin qu’elle bâtit depuis 1982 pour que les lesbiennes et les gays et leurs enfants cessent d’être discriminés à cause de leur orientation sexuelle, commente pour sa part l’avocate Caroline Mécary, qui a défendu la famille Gas-Dubois. Cet arrêt, qui s’impose à l’Autriche et à tous les pays qui ont une législation similaire, est un indicateur de poids pour la France. Il constitue un atout supplémentaire pour le parlement et les partisans de l’égalité de traitement des citoyens y compris les enfants, dans le débat sur l’ouverture du mariage civil et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe qui doit se poursuivre au Sénat à partir du 2 avril 2013.»
 
PRUDENCE
Néanmoins, comme toujours, la Cour européenne des droits de l’Homme fait preuve d’une grande prudence, tentant de limiter la lecture qui pourrait être faite de sa jurisprudence:
 
«Bien que la présente affaire puisse être considérée dans le cadre de la problématique plus large des droits parentaux des couples homosexuels, la Cour n’est pas appelée à se prononcer sur la question de l’adoption coparentale par des couples homosexuels en elle-même, et encore moins sur celle de l’adoption par des couples homosexuels en général, écrivent ainsi les juges. Il s’agit pour elle de statuer sur un problème étroitement défini, celui de savoir si les requérants en l’espèce ont ou non été victimes d’une discrimination entre les couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels en matière d’adoption coparentale.»
 
Affligée de la lourde tâche de concilier les mentalités dans les 47 pays du Conseil de l’Europe, la CEDH avance à très petits pas. Mais elle avance.